Comme chaque année, ce temps liturgique du Carême vient creuser notre foi et nous aider d’une manière plus profonde à nous dégager de nous-même. Se dégager de soi, c’est laisser plus de place à Celui qui habite le cœur de l’homme et entamer un chemin de liberté intérieure. Le pape François nous dit : « le Carême implique toute notre vie, tout notre être ». Cette année encore, il nous donne des éléments très concrets pour le vivre.
1. Se laisser toucher le cœur
« Revenez à moi de tout votre cœur », dit le prophète Joël (2, 12). Dans la vie, « nous aurons toujours des choses à faire », nous aurons toujours « des excuses à présenter », mais « aujourd’hui c’est le temps de revenir à Dieu », insiste François.
Cela signifie s’engager sur le « chemin d’une conversion non pas superficielle et transitoire », mais un « itinéraire spirituel » qui touche « le lieu le plus intime » de notre personne. En effet, « le cœur est le siège de nos sentiments, le centre dans lequel mûrissent nos choix, nos comportements ».
Le Carême n’est « pas une collecte de bonnes actions », c’est « discerner vers où est orienté notre cœur ». Où mène « le navigateur de ma vie, vers Dieu ou vers mon moi ? (…) Ai-je un cœur “qui danse”, qui fait un pas en avant et un pas en arrière, qui aime un peu le Seigneur et un peu le monde, ou bien un cœur ferme en Dieu ? » Et l’on se découvre soudain un cœur « fermé », « rouillé », « refroidi », « anesthésié »…
Et François de scander : « Nous avons besoin de la guérison de Jésus, il nous faut mettre devant lui nos blessures et lui dire : “Jésus, je suis ici devant toi, avec mon péché, avec mes misères. Tu es le médecin, tu peux me libérer. Guéris mon cœur.” »
2. Arrêter de s’agiter
François appelle à « ralentir notre vie qui va toujours au pas de course, mais souvent ne sait pas bien où ». « Arrête-toi un peu, dit-il. Laisse cette agitation et cette course insensée qui remplit le cœur de l’amertume de sentir que l’on n’arrive jamais à rien. »
« Arrête-toi, reprend-il, laisse cette injonction à vivre en accéléré qui disperse, divise et finit par détruire le temps de la famille, le temps de l’amitié, le temps des enfants, le temps des grands-parents, le temps de la gratuité… le temps de Dieu. »
3. Rechercher le silence
« Arrête-toi un peu devant le bruit assourdissant qui atrophie et étourdit nos oreilles et qui nous fait oublier le pouvoir fécond et créateur du silence », intime François.
Le pape dénonce la pollution sonore. « Nous sommes submergés de paroles vides, de publicités, de messages insidieux. Nous nous sommes habitués à entendre de tout sur tous et nous risquons de sombrer dans une mondanité qui atrophie notre cœur et il n’y a pas de pontage pour guérir cela, mais seulement le silence. »
« Il n’est pas facile de faire silence dans son cœur, prévient-il, car nous cherchons toujours à parler un peu, à être avec les autres. » Pourtant, la « vraie conversion » est au prix de ce silence. Grâce à lui, le croyant peut rentrer en lui-même et se « mettre à l’écoute de la Parole de Dieu ».
4. Se détacher du smartphone
Aller au désert, durant le Carême, c’est se « détacher du téléphone portable » pour se « connecter à l’Évangile ». Jeûner, insiste François, « c’est savoir renoncer aux choses vaines, au superflu, pour aller à l’essentiel ». C’est renoncer au culte du selfie. « Arrête-toi un peu devant la nécessité d’apparaître et d’être vu par tous, d’être continuellement “à l’affiche”, ce qui fait oublier la valeur de l’intimité et du recueillement. »
Le pape pointe du doigt « la maladie de l’apparence, aujourd’hui dominante ». C’est « unegrande tromperie » parce que l’apparence est « comme une flambée : une fois finie, il reste seulement la cendre ». Faisons un « diagnostic des apparences que nous recherchons », indique-t-il, « essayons de les démasquer. Cela nous fera du bien ».
Se tenir éloigner du téléphone, c’est aussi vouloir mettre le holà « aux paroles inutiles, aux bavardages, aux rumeurs, aux médisances », à la « violence verbale », aux « mots blessants et nocifs, que le réseau amplifie ». C’est aussi refuser la « critique grossière et rapide » et les « analyses simplistes qui ne réussissent pas à embrasser la complexité des problèmes humains, spécialement les problèmes de tous ceux qui souffrent le plus ». Ce « nettoyage » se révèle nécessaire pour atteindre une « saine écologie du cœur ».
5. Arrêter de regarder les autres de haut
« Arrête-toi un peu devant le regard hautain, le commentaire fugace et méprisant qui naît de l’oubli de la tendresse, de la compassion et du respect dans la rencontre des autres », dit François, notamment à l’égard de ceux qui sont « vulnérables, blessés et même de ceux qui sont empêtrés dans le péché et l’erreur ».
Il s’agit de changer de perspective en regardant « vers le haut », avec la prière qui « libère d’une vie horizontale, plate, où on trouve le temps pour le “je” mais où l’on oublie Dieu ».
Regarder « à l’intérieur », grâce à un jeûne, qui nous « libère de l’attachement aux choses, de la mondanité qui anesthésie le cœur ». Regarder « vers l’autre » avec la « charité qui libère de la vanité de l’avoir, du fait de penser que les choses vont bien si elles me vont bien à moi ».
6. En finir avec l’hypocrisie
Pour le Carême, François demande que nous regardions « à l’intérieur, dans le cœur », sans faux-semblant et avec courage.
« Que de fois, pointe le pape, nous faisons quelque chose pour être approuvés, pour notre image, pour notre ego ! Que de fois nous nous proclamons chrétiens et dans le cœur nous cédons sans problème aux passions qui nous rendent esclaves ! Que de fois nous prêchons une chose et en faisons une autre ! Que de fois nous nous montrons bons au-dehors et nourrissons des rancunes au-dedans ! Que de duplicités nous avons dans le cœur… c’est la poussière qui salit, les cendres qui étouffent le feu de l’amour. »
Si l’on ausculte son cœur avec attention et sincérité, on mesure notre ambivalence. « Lorsque l’on accomplit quelque chose de bon, presque instinctivement naît en nous le désir d’être estimés et admirés pour cette bonne action, pour en retirer une satisfaction. Jésus nous invite à accomplir ces œuvres sans aucune ostentation, et à espérer uniquement la récompense du Père qui voit dans le secret » (Mt 6, 4.6.18).
Le Christ demande d’accomplir des « œuvres de charité, de prier, de jeûner, mais de faire tout cela sans feinte, sans duplicité, sans hypocrisie » (cf. Mt 6, 2.5.16).
7. Ne pas s’habituer au Mal
Le pape dénonce régulièrement « la culture » et « l’abîme » de l’indifférence. Le Carême, rappelle-t-il est le « temps pour dire non à l’asphyxie qui naît des intimismes qui excluent, qui veulent arriver à Dieu en esquivant les plaies du Christ présentes dans les plaies des frères : ces spiritualités qui réduisent la foi à une culture de ghetto et d’exclusion ». Ces quarante jours aident à « sortir des habitudes lasses et de l’accoutumance paresseuse au mal qui nous menace ». Il s’agit de « ne pas nous habituer aux situations de dégradation et de misère que nous rencontrons en marchant dans les rues de nos villes et de nos pays ».
Le risque est réel d’accepter « passivement certains comportements et de ne pas nous étonner face aux tristes réalités qui nous entourent ». On s’habitue à la violence, « comme s’il s’agissait d’une nouvelle quotidienne qui va de soi ; nous nous habituons à nos frères et sœurs qui dorment dans la rue, qui n’ont pas de toit pour se protéger. Nous nous habituons aux réfugiés à la recherche de liberté et de dignité, qui ne sont pas accueillis comme ils le devraient ».
Nous nous habituons, enfin, à « vivre dans une société qui prétend se passer de Dieu », dans laquelle « les parents n’enseignent plus à leurs enfants à prier » le Notre Père ou le Je vous salue Marie, « ni à faire le signe de la croix ».
8. Demander le don des larmes
« Frères, interpelle François, sachez, que les hypocrites ne savent pas pleurer, ils ont oublié comment on pleure, ils ne demandent pas le don des larmes. » Demander le don des larmes, explique-t-il, est une façon de « rendre notre prière et notre chemin de conversion toujours plus authentiques ».
Et le pape de nous demander : « Est-ce que je pleure ? Le pape pleure-t-il ? Les cardinaux pleurent-ils ? Les évêques pleurent-ils ? Les personnes consacrées pleurent-elles ? Les prêtres pleurent-ils ? Les pleurs sont-ils présents dans nos prières ? »
Accepter de pleurer, c’est revenir à Dieu avec un « cœur nouveau, purifié du mal, purifié par les larmes, pour prendre part à sa joie ». Une joie qui s’enracine dans la certitude que « nous pouvons changer, si nous accueillons la grâce de Dieu et que nous ne laissons pas passer en vain ce moment favorable ». « S’il vous plaît, dit-il, arrêtons-nous, arrêtons-nous un peu et laissons-nous réconcilier avec Dieu ».
9. Prier
Les freins à la prière se manifestent particulièrement pendant le Carême, période de tentation. « Nous avons du mal à distinguer la voix du Seigneur qui nous parle, la voix de la conscience, la voix du bien. Jésus, en nous appelant dans le désert, nous invite à prêter attention à ce qui compte, à l’important, à l’essentiel. »
Car la prière est une nourriture indispensable. « Nous avons besoin de la Parole de Dieu, dit-il. Nous devons parler avec Dieu : nous devons prier. Car ce n’est que devant Dieu que viennent au jour les inclinations du cœur et que disparaissent les duplicités de l’âme. » Il faut se tourner vers l’Esprit Saint en redécouvrant « le feu de la louange, qui brûle les cendres de la lamentation et de la résignation ».
10. Contempler les visages qui nous entourent
François appelle chacun à s’arrêter pour contempler le visage de celles et ceux qui nous entourent : Visage de nos familles qui continuent à « miser jour après jour, avec beaucoup d’effort, pour aller de l’avant dans la vie » et qui, « entre les contraintes et les difficultés, ne cessent pas de tout tenter pour faire de leur maison une école de l’amour ».
Visages des enfants et des jeunes « porteurs d’un lendemain et d’un potentiel qui exigent dévouement et protection » et qui « se fraient toujours un passage au milieu de nos calculs mesquins et égoïstes ». Visages des anciens, marqués par « le passage du temps » ; visages « porteurs de la mémoire vivante de nos peuples » et visages de « la sagesse agissante de Dieu ».
Visages des malades et de tous ceux qui s’en occupent ; visages qui, « dans leur vulnérabilité et dans leur service, nous rappellent que la valeur de chaque personne ne peut jamais être réduite à une question de calcul ou d’utilité ». Visages « contrits de tous ceux qui cherchent à corriger leurs erreurs et leurs fautes » et qui, « dans leurs misères et leurs maux », luttent pour « transformer les situations et aller de l’avant ».
Visage du Christ, « l’Amour crucifié » qui, « aujourd’hui, sur la croix, continue d’être porteur d’espérance », « main tendue à ceux qui se sentent crucifiés, qui font l’expérience dans leur vie du poids leurs échecs, de leurs désenchantements et de leurs déceptions ».