Présence contemplative au cœur du monde
Rien n’est bon comme le détachement de soi-même, rien n’est déplorable comme la paresse spirituelle, j’en sais quelque chose---------Offrez-vous tous les matins et ne vous reprenez pas dans la journée---P. François Picard///////Il y a toujours à supporter, et tout le monde fait supporter. Il faut savoir se supporter mutuellement avec beaucoup de bonté, de patience, mais en même temps d'austérité de langage, avec l'affection des personnes données à Dieu---------- Je voudrai que pour nous prière et acte d’amour fussent synonymes----Mère Isabelle

La sainteté extraordinaire des gens ordinaires

Coeur

La sainteté chrétienne, c’est un pas à la fois. Elle n’est pas un sport héroïque où triomphent les plus forts, mais une histoire sacrée où les humbles et les petits sont comblés par la miséricorde de Dieu.

Dissipons un malentendu trop répandu. Sainteté n’est pas synonyme de canonisation. L’une relève de notre être baptismal, l’autre de l’Église qui offre au monde un modèle. Lorsque nous regardons de quoi nos journées sont faites, personne ne pense être canonisé. Il ne s’agit pas de vouloir « monter sur les autels » à coup de volonté et de pénitences, mais de descendre dans notre humanité et de se laisser envahir par l’amour du Christ pour qu’il sanctifie tout ce que nous faisons. Si l’habit ne fait pas le moine, la canonisation ne fait pas tous les saints. Le pape François en témoigne dans son exhortation sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, Gaudete et Exsultate (GS, n. 7) :

J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté « de la porte d’à côté », de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, « la classe moyenne de la sainteté ».

Cette sainteté ne fleurit pas seulement dans les cloîtres, elle côtoie les gens de nos rues, comme l’a bien montré la laïque Madeleine Delbrêl, dont la cause de béatification est à Rome. « Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque, car si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l’aurait déjà donné. »

Un pas à la fois

On peut parfois penser que la sainteté va nous amputer d’une part de notre humanité, nous éloigner de la vie sociale et des préoccupations du monde. C’est oublier qu’il y a autant de façons d’être saint, de rencontrer Dieu, qu’il y a d’êtres humains. Chacun son chemin et son rythme. Cette route personnelle de la sainteté passe par l’attention aux petites choses. Les exemples concrets de cette sainteté « ordinaire » se manifestent au cœur du réel quotidien et ont un impact dans notre vie sociale. Le pape François nous donne cet exemple (GS, n. 16) :

Une dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une voisine et commence à parler, et les critiques arrivent. Mais cette femme se dit en elle-même : “Non, je ne dirai du mal de personne.” Voilà un pas dans la sainteté ! Ensuite, à la maison, son enfant a besoin de parler de ses rêves, et, bien qu’elle soit fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec patience et affection. Voilà une autre offrande qui sanctifie ! Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se souvient de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi. Voilà une autre voie de sainteté ! Elle sort après dans la rue, rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec affection. Voilà un autre pas !

La vocation commune à la sainteté est inscrite au cœur de tout baptisé. Mais peut-être me direz-vous : « Les saints, et surtout les martyrs, c’est bien beau, mais on les admire de loin. Au fond, ça ne change rien. » Trop souvent, en effet, nous les voyons comme des êtres inaccessibles, qui nous démoralisent quand nous regardons nos faiblesses. Ils sont pourtant nos amis et cette amitié se poursuit au ciel, où nous nous connaîtrons les uns les autres dans le Christ.

Ni héros ni stars

Elles ne manquent pas d’amis, les personnes qui cheminent avec les saints et les saintes. Ces compagnons et compagnes de route sont d’abord des êtres humains comme nous qui ont tout misé sur la miséricorde de Dieu. Ils ne sont pas des supermans ou des superwomans inabordables, créés par les médias et les réseaux sociaux pour répondre à une mode.

La société de consommation, fondée sur l’image, produit des idoles, des stars. Que de différences entre elles et les saints ! La star brille, le saint illumine. Les deux attirent, mais ils ne rayonnent pas de la même manière. Alors que la star éclaire d’elle-même, le saint renvoie à une autre lumière. L’une attire la lumière sur elle-même ; l’autre, sur le Christ qu’il veut suivre. La star peut en arriver à prendre la place de Dieu, alors que le saint n’existe que pour conduire plus loin, jusqu’à Dieu. Mais la grande différence vient surtout de leur vie elle-même. Les saints et les saintes prêchent par l’exemple. Ils sont traversés par l’amour, comme la lumière passe à travers le vitrail pour la répandre partout.

Une histoire sacrée pour les humbles

Dans une conférence présentée aux filles de Charles de Foucauld en 1947, intitulée Nos amis les saints, Georges Bernanos affirmait : « Un héros nous donne l’impression de dépasser l’humanité, le saint ne la dépasse pas, il l’assume, il s’efforce de la réaliser le mieux possible. » Le bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus dit la même chose en d’autres termes. Il montre que la sainteté, c’est la force divine dans la faiblesse humaine. Nous confondons si facilement la sainteté avec l’héroïsme : nous voulons être des héros, c’est-à-dire assurer le triomphe des forces physiques ou des forces intellectuelles, en tout état de cause des forces humaines et naturelles. « Dans le combat, le héros, c’est celui qui arrive à vaincre ; le saint, c’est celui qui laisse triompher Dieu en lui. »

La sainteté chrétienne n’est pas un sport où triomphent les plus forts, mais une histoire sacrée où les humbles et les petits sont comblés par la miséricorde de Dieu. Elle révèle ce que nous sommes : des enfants bien-aimés du Père, sauvés dans le Fils et sanctifiés par l’Esprit. Elle n’est pas mainmise, mais lâcher prise. On ne peut la saisir qu’avec des mains vides et un cœur d’enfant que Dieu remplit à la mesure infinie de son amour.

« La sainteté est le plus beau visage de l’Église. »

« La sainteté est le plus beau visage de l’Église », affirme le pape François dans Gaudete et Exsultate. Celle-ci a besoin de saints qui ressentent leur faiblesse, non des gens qui se croient parfaits. Ces amis de Dieu se savent pécheurs, mais ravis d’être pardonnés. « Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance » (GS, n. 122).

Plus je lis les saints et les saintes, plus je constate que le mot « joie » revient continuellement, comme si la sainteté rendait léger, puisqu’elle qu’elle est toujours une expérience de la miséricorde. La sainteté, c’est notre rien librement offert au Tout, à Dieu, affirme Marie Noël : « Mais, par ce rien, Dieu passe, comme l’eau d’une source par le vide grand ouvert d’un conduit, pour aller donner aux âmes sa Grâce à boire. Le Saint est bon conducteur de Dieu. » La sainteté reste donc à notre portée, nous qui sommes imparfaits et blessés. Les saints, connus ou inconnus, ont eu aussi des angoisses, des névroses, des blessures intérieures, des doutes, des inhibitions, des refoulements, des obsessions, des scrupules, des défauts. Ce qui ne les a pas empêchés de vouloir faire plaisir à Dieu dans les petites choses du quotidien, car ils avaient confiance en lui. Ce que Dieu demande pour devenir saint : aimer jusqu’au don total de soi.

Jacques Gauthier – Publié dans Aleteia