Le Christ n’est pas venu en ce monde pour un triomphe à la manière du monde, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Comme Chrétiens, nous sommes tous appelés à suivre les pas du Christ, marchant dans la voie du service des hommes ; dont l’amour est l’expression la plus grande selon l’Évangile.
Des places privilégiées
Jacques et Jean, comme Pierre, appartiennent au cercle des proches ayant suivi Jésus depuis le début (1,14-20) et bénéficié d’une place privilégiée lors du relèvement de la fille de Jaïre (5,21-43) et de la Transfiguration (9,2-13). Est-ce en raison de ce lien de proximité qu’ils osent exiger de siéger à droite et gauche de Jésus, après sa victoire sur la mort ? Ces deux places honorifiques sont celles du pouvoir : participer à la gloire royale et divine de Jésus, le Fils de l’homme, et au jugement divin sur le monde, à sa Résurrection. La Passion est celle de Jésus ; sa victoire la leur.
C’est pourquoi Jésus n’accède à leur demande qu’en les réorientant à nouveau vers la croix et en les y intégrant. Il replace ce mandat attendu des deux frères non dans l’après, mais dans le présent de sa Passion, dans cette participation à la coupe de désolation et de destruction (Éz 23,33) et la plongée baptismale2 dans les eaux de la mort. Jésus situe sa gloire et celle de ses apôtres dans la perte du pouvoir, le refus de toute domination et l’abandon des honneurs.
Ils demandaient à Jésus de les établir en officiers du jugement eschatologique. Cependant, le Fils de l’homme se défait de ce pouvoir, ce n’est pas à lui de l’accorder. Ainsi, il remet toute son autorité à son Père. Ce dernier a déjà préparé des places d’honneur, deux places aux côtés de leur Seigneur, à droite et à gauche du crucifié au Golgotha (15,27). Il n’y a donc plus de privilège, ni de pouvoir, pour ces premiers disciples, car les derniers siégeront… Il n’y a plus ni récompense, ni salaire, il n’y a qu’un don gratuit.
« Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » L’enjeu en nos vies pour qu’elle s’ouvre est en fait de demander, oser demander, ne plus être une ile qui se veut sans relation, faire par elle-même, commencer par demander, même mal… d’ailleurs Jésus reçoit la demande de plein pied, ne dit-il pas aux deux frères : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ».
Cela donnera d’entrer dans un dialogue constructif en fait. Ne croyons pas que le Seigneur soit fragile, ne croyons pas qu’il ne peut entendre… Osons aller à lui, nous mettre en relation avec lui par rapport à ce qui nous concerne, ouvrons-nous alors à sa capacité de réponse… c’est bien ce que nous cherchions… Même si cela commence fort « Vous ne savez pas ce que vous demandez » Jésus répond ensuite sur le fond…
La stupéfaction
Nous pouvons être surpris par la stupeur et la crainte des disciples. S’agit-il de la même crainte que provoque l’autorité de Jésus par ses paroles1 ? ou fait-elle référence à la précédente annonce de la Passion (10,32) ? De même, cette stupéfaction renvoie-t-elle à celle de l’épisode de l’homme riche (10,26) ? D’autant que Jésus leur promettait une famille et des biens au centuple, y compris dans les épreuves. Celles-ci seraient-ils le prix terrifiant à payer ? Cependant, l’épreuve sera d’abord celle de la montée vers Jérusalem, ville du Temple et des grands prêtres qui causeront sa condamnation et sa mort. Ce prix à payer sera assumé par le Christ lui-même, pour la multitude (10,45). La crainte et la stupeur des disciples viennent ici unir trois thèmes : autorité de la Parole, Passion du Fils de l’homme et avenir des disciples.
Ainsi, loin de rassurer ses disciples, Jésus les avertit, une troisième fois, de l’inéluctabilité de sa mort. Il ne leur cache rien. Son discours n’est pas celui d’un séducteur, ni d’un flatteur. Il est au service de la vérité qu’est la révélation même de Dieu et d’un salut offert à tous jusqu’aux plus petits, aux humbles et aux humiliés. Cette fois-ci la description de sa Passion donne dans la précision. Aux grands prêtres et scribes est associé le pouvoir romain des nations païennes. Tous seront contre lui. Et Jésus, de rappeler sa prochaine humiliation. Sa mort n’est pas une fin héroïque mais humiliante. Il est moqué, insulté… Les trois annonces de la Passion (cf. supra) rappellent que la foi en la Résurrection ne saurait faire l’économie de la mort du Messie où, dans cet abaissement, Jésus manifestera le salut du Père. Un Père qui seul le ressuscitera, manifestant l’inouï de sa victoire.
Que voulez-vous que je fasse pour vous ?
Dans un contexte de tension, le Seigneur Jésus dit ce qui va arriver. C’est dans ce cadre que Jacques et Jean s’entretiennent avec lui, cela entraine la réaction des autres disciples. Je vous propose de vous arrêter sur le moment en Jacques Jean et Jésus.
« La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ». Jésus en répondant sur le fond continue à définir l’espace de la situation globale, situation globale qui a à voir avec lui, un baptême se présente à tous, mais c’est le baptême du Seigneur qui passe le premier et nous donnera de passer après lui… C’est un absolu, c’est aussi un chemin de vie, une promesse que le Seigneur peut faire à tous… C’est l’axe de la vie, c’est l’axe de nos vies, c’est l’axe de nos devenir…
« Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. » Dans ce cadre nouveau, le Seigneur peut répondre sur ce qui n’apparaît plus que comme secondaire, mais qui est à accepter comme incontournable de la situation sans que cela soit au détriment des autres. Ce qui compte est bien de passer avec Lui mais à partir de là où nous sommes…
Jésus à travers le dialogue donne à la demande des deux frères de s’ordonner. Cela est aussi vrai pour chacun de nous. Je demande justement dans la mesure où situé dans l’axe de la vie je m’ouvre à la situation présente. Ma demande est alors ordonnée et de ce fait ajusté… C’est bien souvent l’enjeu de la prière ignatienne.
La demande de grâce que je formule que je risque au début du temps d’oraison va connaître par la contemplation une alchimie qui me donnera souvent de la reprendre autrement, ajusté au terme du temps de prière dans ce moment que nous appelons colloque, temps où je m’adresse de nouveau au Seigneur…