Donnez leur vous-même à manger
« Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » demande Jésus à Philippe en voyant la foule. Jésus vient de diagnostiquer que la foule qui le suit a faim et tout de suite, il est préoccupé de leur donner à manger. Il pose la question à ses disciples, où pourrions-nous trouver du pain pour elles. Une manière de dire donnez-leur vous-même à manger, fouiller vos poches et vos sacs. Que c’est touchant de voir quelqu’un se soucier des gens plus qu’eux-mêmes. Suivre le Christ est bénéfique pour ceux qui le fassent.
En sa présence, son regard nous examine. C’est le cas de « cette foule nombreuse qui venait à lui ». C’est en étant en sa présence qu’il a diagnostiqué les faims de leur vie et sans attendre envisage déjà comment y remédier. Il fera pareil pour nous si nous prenons exemple sur cette foule en levant les voiles de nos vies. Il les a nourrit avec cinq pains et 2 poissons.
Ne voyons pas seulement dans cet acte, la satisfaction matérielle et spirituelle. Mais voyons en elle l’image de toute faim réelle obstacle à l’épanouissement de l’homme (faim de mariage, faim d’enfants, de travail, de réussite, de guérison, de paix conjugale ou d’entente familiale…) et que Dieu ne peut combler sans notre apport de cinq pains et 2 poissons comme dit l’Apôtre André dans l’Évangile « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ». Sans les minimiser, Jésus les prend et multiplie pour les nourrir.
Dieu a besoin de notre peu pour nous aider, pour nous sauver et pour prendre soin de toute l’humanité. Nos capacités ne sont pas les mêmes. Alors la question est de savoir, savons-nous être charitables, valoriser ou offrir le peu que nous avons ? Quels sont ces 5 pains et 2 poissons dont Dieu en a besoin pour nourrir ses foules misérables devenues nombreuses autour de nous ?
Que nous demande Dieu aujourd’hui pour nourrir son peuple : le temps, l’argent, l’engagement ? Beaucoup veulent seulement recevoir de Dieu sans jamais rien lui donner. Comment fera-t-il pour nous aider ? Il a fallu qu’il ait les cinq pains et deux poissons du petit garçon pour que les foules aient à manger. Nous sommes, nous déjà des grandes personnes et avons plus que cela.
Mais dès qu’on évoque une contribution pour les projets de l’Église (tel que faire les bancs, construire une salle, refaire la peinture…), dès qu’une initiative pour la Caritas est en cours, plusieurs crient misère ou restent silencieux. Ils feignent de ne rien avoir et donnent à peine quelque chose. Parfois même en murmurant. Dieu ne peut pas nous sauver sans nous. Il attend notre part sans simplifier et à la taille des bienfaits qu’il accomplit dans nos vies.
Il a montré a Philippe qui dit que « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain », à André qui dit qu’« il n’y a que … mais, qu’est-ce que cela pour tant de monde ! » qu’il ne faut pas simplifier nos petits moyens car, la solution se trouve très souvent entre nos mains. André et Philippe ont sous-estimé ce qu’il y’avait alors qu’avec Dieu tout est possible. Il suffit seulement d’avoir la foi pour qu’il accomplisse l’impossible.
Ici Jésus nous invite à souvent abandonner nos vues humaines devant certaines situations pour laisser transparaître notre foi. Que Dieu nous aide à savoir être à sa suite pour être rassasiés de lui, pour apprendre à nous estimer et savoir partager notre peu pour notre sanctification, pour le bonheur de tous et pour sa plus grande gloire. Loué soit Jésus-Christ.
Débordement de grâces
Jésus est conscient du mouvement de foule qu’il crée. Et les gens savent ce que Jésus peut faire pour eux. Son pouvoir de guérison suffit à lui seul à lui attirer tous les malades et les estropiés qui voient en lui l’aube de la libération. Mais le regard de Jésus porte plus loin encore et son pouvoir de bienfaisance déborde les attentes de ceux qui l’entourent. L’autorité de Jésus va très loin. Elle anticipe les besoins, mobilise les moyens, convoque la grâce et la déploie sans mesure. L’excès et le débordement sont sa marque. Mais lui-même ne se laisse pas enfermer dans l’autorité qu’on voudrait lui attribuer.
La grâce n’est pas un réservoir domestiquable à souhait mais le don gratuit, libre et généreux de Dieu devant la vie en souffrance. Faire cette expérience, baigner dans la miséricorde de Dieu, c’est immanquablement ne plus vouloir quitter cette fontaine de vie. Jésus ne s’y trompe pas et ne peut se laisser enfermer dans ce désir compréhensible. La grâce, comme la manne au désert, est l’aliment du chemin, pas le festin du Royaume.
La grâce est l’épiphanie d’une plénitude à venir, le baume d’éternité appliqué sur la plaie des jours. Elle initie à la joie qui nous attend. Rien de cela ne peut être stocké ou gardé pour soi. La vie circule par la grâce des cœurs attentifs qui veillent sur elle. Cet écoulement prend sa source dans le cœur du Père où Jésus se tient quotidiennement. Il nous montre le chemin.
Pas d’autre bonheur que toi, mon Dieu, source de toute vie. Garde-nous ensemble, dans ta main généreuse et libre. Donne-nous de choisir comme toi l’itinérance de la grâce, de la faim et de la soif de se recevoir d’elle et d’échapper à la tentation de toute captation. Il s’agit de devenir sujet de la grâce.
Non de l’enfermer pour soi mais de la laisser multiplier la vie en soi pour le bénéfice de tous. Cela n’est donné que sur le moment. Ce point de pauvreté fait la richesse du disciple. C’est l’apprentissage du jour. Il faut demeurer dans la brûlure de la misère, et consentir à ce style de vie inauguré par Jésus: laisser échapper la grâce, offrir le trop-plein, vivre par débordement, renoncer à toute possession de joie, ne rien garder pour soi…
Passer de l’autre côté
En fin de compte on ne sait d’où Jésus est parti et non plus très bien où il se rend, sinon qu’il paraît s’être éloigné de liens familiers, ce que pourrait traduire le fait d’être de l’autre côté de la mer. Ce côté où la vie est inconnue, où il faut risquer.
Comme passer de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Voilà sans doute ce qui nous est demandé, au-delà des apparences de nous-mêmes comme de nos représentations de Dieu, afin d’espérer entrer pour de vrai dans l’amitié de Jésus, dans son écoute. La foule est là, comme aux heures essentielles, telle l’entrée glorieuse à Jérusalem, juste avant la Passion. Jésus gravit la montagne, mémoire de celle où la loi fut donnée.
Une foule qui paraît patiente, attentive. Sans raison apparente – nous ne sommes pas le soir et Jésus n’a pas guéri de nombreux malades – il exprime le souci de lui procurer du pain. Mais quel pain vraiment ? Car qu’est venue chercher cette foule qui, elle aussi, est passée de l’autre côté des apparences du monde, pour entendre la parole de vie ? C’est Simon qui, un peu plus tard, prononcera la réponse juste : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».
Voilà alors ce que Jésus est venu offrir, par-delà les apparences, les paroles qui ne passent pas. Celles qui font vivre, inscrites en sa propre chair. Et c’est bien ce que confirment les « morceaux en surplus ». La foule a mangé à satiété, il n’est donc pas besoin de plus.
C’est alors autre chose qui est offert. Non un don supplémentaire, mais le cœur du don : sa signification elle-même, la vie de Dieu offerte en partage jusque dans la mort du Fils.
Nous voilà au-delà des apparences, dans la vérité même : la véritable gloire sera celle de l’abaissement de Jésus afin d’être à la hauteur de l’homme humilié pour l’élever jusqu’à la joie que Dieu lui-même soit son compagnon.
« Le voyageur, épuisé par la nuit et qui demande du pain, en réalité désire l’aurore. Notre message éternel d’espérance, c’est que l’aurore viendra ! » sœur Véronique Margron