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Ce jour, ainsi que tout le mois de mars, on parle de la place et du rôle de la femme dans la société. La femme sera mise en avant dans tous les discours. Elle sera célébrée dans ce qu’elle est et ce qu’elle est capable de faire. Il reste, par ailleurs, le regard biblique sur la femme qui est mis moins en valeur dans la reconnaissance de la femme aujourd’hui. Nous allons ainsi nous arrêter sur la place de la femme dans la Bible et dans l’église.
Ci-dessous, nous reprenons l’interview de Sylvaine Landrivon (S. L.), théologienne, sur la place des femmes dans l’église. En effet, dès la naissance de l’Église, on n’est pas capable d’entendre l’idée qu’il fallait laisser une place aux femmes. Sophie de Villeneuve interroge Sylvaine Landrivon pour en comprendre davantage.
Sophie de Villeneuve : Certaines femmes dans la Bible semblent avoir eu un rôle très important, comme Judith ou Marie-Madeleine, ou d’autres au premier siècle dans les communautés chrétiennes. Or par la suite cette importance a considérablement diminué. Pourquoi ?
S. L. : La première raison est anthropologique : depuis des millénaires, ce sont les hommes qui ont le pouvoir, et ils n’ont pas envie de le partager avec les femmes. Dans la Bible, Dieu crée un être humain unique, à partir duquel il crée un homme et une femme. Rien ne dit que le premier humain était un homme. Ce sont les traductions qui ont introduit un rapport de subordination, et on a fait des femmes des subalternes. Sarah, la femme d’Abraham, a remis son mari sur le droit chemin à plusieurs reprises. Le livre de Judith nous montre un personnage féminin qui sauve la foi. Quand les soldats et les prêtres ont capitulé et qu’il ne reste aucun espoir, elle propose une solution. On dira qu’elle a utilisé sa beauté et qu’elle a trouvé une solution violente, mais elle a utilisé son intelligence et sa foi. C’était une veuve, une femme humble, et après avoir sauvé le peuple de Béthulie, elle est humblement rentrée chez elle. Et rien n’a changé pour les femmes.
Il y a donc dans la Bible de belles figures féminines qui ont sauvé la foi…
S. L. : Oui, mais on en parle un peu comme d’une légende, et sans jamais chercher à y trouver un sens ni à donner un rôle aux femmes. Dans le second livre de la Genèse, Dieu ne dit pas « Je vais donner une aide à l’homme », comme on l’a traduit. Le mot hébreu signifie « secours », ce qui n’a pas un sens de subordination. On dit que Marie-Madeleine est l’apôtre des apôtres, mais elle n’a jamais eu le titre d’apôtre, elle n’a pas créé d’évêque… Et cela n’a pas modifié la condition des femmes.
Pourtant, elle a été secourable !
S. L. : En effet, dès que Jésus l’a guérie de ses maladies, qu’on a considéré on ne sait pourquoi comme des péchés, elle a secouru de ses biens Jésus et l’Église naissante, elle a toujours été fidèle, sans rien attendre en échange. Quand les apôtres masculins n’osent pas aller au pied de la Croix, ou même renient Jésus, Marie et Marie-Madeleine sont présentes. Après quoi on leur demandera de rentrer sagement chez elles, au point que les Actes des apôtres et saint Paul n’en parlent même plus.
Tout de même, dans les Actes des apôtres, on voit beaucoup de femmes s’activer auprès de saint Paul.
S. L. : En acceptant des femmes autour de lui, Jésus était déjà très subversif. Autour de saint Paul, on voit Phoebé ou d’autres. Quand les femmes prophétisent, il leur demande de se voiler les cheveux, ce qui montre bien qu’il les laisse jouer un rôle dans la communauté. Mais la société dans laquelle il vit n’est pas du tout prête à recevoir cette façon de vivre.
Quand la place de la femme s’est-elle estompée dans l’histoire ?
S. L. : Dès la naissance de l’Église. On n’était pas capable à l’époque même de Jésus d’entendre l’idée qu’il fallait laisser une place aux femmes. Par la suite, au Moyen Âge et pendant la Renaissance, le pouvoir est resté aux mains des hommes. Saint Thomas d’Aquin, qui a pourtant écrit de très belles choses sur Marie-Madeleine, dit des femmes qu’elles sont des imbéciles, des êtres inférieurs, récitant ainsi les leçons d’Aristote. Il a fallu attendre Vatican II pour que l’Église considère que les femmes ne sont pas seulement des objets sexuels, mais qu’elles aussi un cerveau et les moyens de penser réellement.
Les femmes ont-elles toujours ce rôle de « secours » qu’elles avaient au départ ?
S. L. : Elles l’ont au sens le plus caricatural du terme. On les appelle dans les diocèses pour faire tout ce qui ne demande pas de pouvoir ou de responsabilité. Et quand elles ont des responsabilités, c’est au second plan, sans visibilité. Le pape François est en train de le comprendre, et il se passe des choses extraordinaires. Il a compris que la différence homme-femme passe par une différence de transmission de la Parole, des façons de voir le monde qui sont complémentaires, et que les deux sont nécessaires.
Quelle est la spécificité des femmes dans la transmission de la Parole ?
S. L. : Jean-Paul II a parlé de LA femme en l’idéalisant et en survalorisant, ce qui est pire que tout. Mais je crois, même si cela fâche les féministes, qu’il y a une spécificité féminine qui réside dans le secours, dans l’accueil, dans le soin et l’attention aux autres, dans une manière différente d’accueillir et d’intégrer, de discerner aussi. Les femmes ne lisent pas l’Écriture comme les hommes. Les théologiennes ont un autre regard que les hommes.
En quoi est-il différent ?
S. L. : Il est plus centré sur le soin, le « care » sur lequel les Américaines ont beaucoup réfléchi. Carol Gilligan a montré que les hommes sont davantage du côté de la justice, et les femmes du côté du soin. Si le soin n’est pas dévalorisé, si on revalorise ce que prêche le Christ, c’est-à-dire le service, je pense qu’une place peut être donnée aux femmes. Les femmes ne peuvent être réduites à leur maternité, car elles sont mères en amont, sans forcément avoir des enfants.
Vous croyez que toutes les femmes ont un instinct maternel ?
S. L. : Dans le second livre de la Genèse, quand Dieu voit que l’être humain meurt de solitude et que ce n’est pas bon, le deuxième être qu’il crée a déjà cette dimension de secours et de soin.
Dans l’Église telle qu’elle est aujourd’hui, quel peut être le rôle des femmes ?
S. L. : Je pense qu’il pourrait être exactement le même que celui des hommes, dans la mesure où il serait vécu différemment. Cela ne veut pas dire qu’il faut revendiquer la prêtrise pour les femmes. On a besoin de postes de responsabilité où la parole des femmes puisse être entendue.
Les femmes pourraient-elles faire des homélies par exemple ? Être diaconesses ?
S. L. : Bien sûr. Pourquoi une mère abbesse ne pourrait-elle pas faire une homélie ? Quant aux diaconesses, il y en avait dans l’Église au temps de saint Paul. Qu’est-ce qui l’interdit ?
Vous êtes prête à vous battre pour cela ?
S. L. : Je le fais déjà dans mes livres ! Et oui, c’est un combat pour moi, car je crois que la spécificité féminine dans la transmission de la Parole est importante.
Propos recueillis par Sophie de Villeneuve
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