Dans la pénombre de nos vies et sous le poids des malheurs du monde, Noël est un motif de joie pour tous. La chroniqueuse Blanche Streb a trouvé dans les méditations du pape Léon le Grand une des lumières de la Nativité : Réjouissons-nous, disait-il, l’allégresse est donnée à tous les hommes, c’est l’anniversaire de la vie !
En marchant vers l’église, entre la pénombre d’une ruelle et la clarté des décorations de Noël, j’ai entendu l’un de mes proches murmurer que ce temps particulier est toujours empreint, malgré l’effervescence et l’animation ambiante, d’une couche de tristesse. Chaque année, en moi aussi, cette pensée fait son lit. Peut-être est-ce le cas pour beaucoup d’entre nous, même lorsque rien de grave ne nous atteint et que retrouvailles, sourires, dîner, chandelles, bulles et cadeaux sont au rendez-vous.
Le poids de ce monde
Nous sentons bien que Noël nous convoque à une joie intensément particulière. Une joie toute donnée qu’il n’est pourtant pas si facile d’approcher. Les biens matériels et les agitations futiles ou mondaines savent malicieusement nous en détourner. Tout comme ces tenaces tentations de ratiociner, de conspirer en enfant gâté, d’osciller entre indignation perpétuelle et éternelle insatisfaction qui rôdent.
Quant au poids de ce monde, il ne cesse jamais d’être le nôtre. Souffrance, mal et malheur n’offrent aucune trêve : partout des personnes isolées, endeuillées, malades, écrasées par la pauvreté, sous les bombes ou dans les ruines, des familles disloquées, des parents séparés de leurs enfants, des vieillards abandonnés…
À ces tourments modernes ou intemporels ajoutons ceux de la désespérance et de l’anxiété ambiantes, de la perte de repères et de sens, et en cette journée de la saint Étienne : ceux de la persécution de tant de chrétiens de par le monde… Et voilà, tout le cocktail maléfique est là. Au nom de quoi, aujourd’hui, méditer la Nativité de notre sauveur pourrait-il suffire à combler nos cœurs ?
Ce même motif de joie commun à tous
Laissons saint Léon le Grand revenir de son Ve siècle nous botter les fesses. « Réjouissons-nous ! Il n’est pas permis d’être triste lorsqu’on célèbre l’anniversaire de la vie » écrit-il dans l’un de ses sermons de Noël, aux environs de l’an 450. Ses mots nous secouent : « Chrétien, prends conscience de ta dignité ! […] Souviens-toi que tu as été arraché au pouvoir des ténèbres pour être transféré dans la Lumière et le Royaume de Dieu. »
Léon sera l’un des deux seuls papes à devenir, mille ans après sa mort, docteur de l’Église. Il m’arrive d’entendre dans ce titre non seulement qu’il s’agit de génies — capables de penser de manière extraordinaire les mystères de la foi — mais aussi de soignants à même de panser diverses blessures d’espérance de l’âme humaine. Dans son homélie devenue célèbre, Léon rappelle que la joie de la Nativité est pour tous :
« Personne n’est tenu à l’écart de cette allégresse, car le même motif de joie est commun à tous. Notre Seigneur, chargé de détruire le péché et la mort, n’ayant trouvé personne qui en fût affranchi, est venu en affranchir tous les hommes. Que le saint exulte, car il approche du triomphe. Que le pécheur se réjouisse, car il est invité au pardon. Que le païen prenne courage, car il est appelé à la vie. »
En cet Octave de Noël, que le païen, le pécheur et l’aspirant-saint qui bataillent en chacun de nous se laissent approcher par la joie de l’Espérance — incarnée dans la simplicité, la pauvreté et la beauté des Beautés — déposée humblement au creux de nos crèches et de chacune de nos existences.