Présence contemplative au cœur du monde
Rien n’est bon comme le détachement de soi-même, rien n’est déplorable comme la paresse spirituelle, j’en sais quelque chose---------Offrez-vous tous les matins et ne vous reprenez pas dans la journée---P. François Picard///////Il y a toujours à supporter, et tout le monde fait supporter. Il faut savoir se supporter mutuellement avec beaucoup de bonté, de patience, mais en même temps d'austérité de langage, avec l'affection des personnes données à Dieu---------- Je voudrai que pour nous prière et acte d’amour fussent synonymes----Mère Isabelle

Jésus Christ, un surprenant Bon Pasteur

Entre le pasteur des prophètes de l’Ancien Testament et Jésus, l’adéquation semble parfaite. Néanmoins, le Christ nous réserve quelques surprises. Pour commencer, « écoutons » ci-dessous, l’évangile de Jésus Christ, un Bon Pasteur assez surprenant.

Évangile de Jésus Christ selon Saint Jean, chapitre 10, verset 1 à 10

Jésus Bon Pasteur est souvent représenté jeune et robuste, portant la brebis chétive, guidant la brebis grasse et les yeux grands ouverts sur un éventuel danger qui pourrait survenir. Il est absolument donné à son travail. Le son de sa voix suffit à le reconnaître. Il inspire une confiance à toute épreuve et d’aucuns voient en lui un guide sûr ! C’est le Bon Pasteur, celui qui donne sa vie pour ses brebis au lieu de la leur prendre…

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Le pasteur, garant de l’unité et de la vie 

La polémique bat son plein contre Jésus ; de nombreuses menaces viennent d’être proférées contre lui. Après l’épisode de la parabole du pasteur, de nouveaux mouvements se déclarent parmi les Juifs : division entre ceux qui croient que Jésus est possédé et ceux qui reconnaissent en lui des paroles de Salut (10, 19). Cette parabole porte donc un message vif et engageant.

La figure du berger n’est pas nouvelle. Nombreux sont les textes de l’Ancien Testament qui l’évoquent. Ils permettent d’esquisser le paysage mental des auditeurs de Jésus. Ézéchiel 34 et Jérémie 23 invectivant les mauvais pasteurs d’Israël, qui se sont gorgés de biens sans prendre soin de la brebis chétive, provoquant ainsi la dispersion du troupeau (Jésus lui-même évoque les « voleurs » et les « bandits »).

Les deux prophètes présentent par contraste le visage d’un Dieu qui se fait pasteur, à la ressemblance duquel tous les bons pasteurs sont invités à agir (Jérémie 23, 3-4) : il rassemble lui-même son troupeau, lui donne un lieu où reposer, le rend fécond ; il le confie ensuite à des pasteurs dignes de ce nom pour que les brebis n’aient plus peur et qu’aucune d’entre elles ne se perde.

Cette terre où le troupeau peut reposer a des allures de Terre Promise, reconnue comme un espace de vie offert par Dieu (Psaume 23). Dieu est bien l’unique pasteur, qui a guidé son peuple au désert (Psaumes 79, 13 ; 95, 7…) et lui a donné les pasteurs humains dont il avait besoin pour ne pas défaillir en route (Nombres 27,17).

Agissant de la sorte, il garantit le chemin vers la vie et assure l’unité. Les textes de l’Ancien Testament insistent sur sa bienveillance : il est attentif à la brebis chétive comme à celle qui est grasse ; il ramène la brebis égarée, panse celle qui est blessée, fortifie la chétive et veille sur la bien portante (Ézéchiel 34, 16).

Jésus Bon Pasteur

Sans aucun doute, le pire qui puisse arriver au troupeau est d’être livré aux mauvais pasteurs ou de rester sans pasteur. Retentissent alors les voix qui annoncent que Dieu fera lever un pasteur de son choix : la figure davidique se dresse (Ézéchiel 34, 23) et derrière David, plus amplement, la figure messianique, celle d’un pasteur suscité par Dieu (Zacharie 11, 16), auquel personne ne pourra résister et qui gardera cette force de la non-violence. Un passeur définitif du Salut.

«Je suis la porte»

Jésus Bon Pasteur

Les pharisiens, issus du judaïsme et habitués de l’Ancien Testament, font la sourde oreille mais ils ont tous les éléments pour comprendre : « Jésus est le pasteur ». Il y a adéquation entre le pasteur messianique, décrit par les prophètes, et le pasteur de la parabole de Jésus.

Jésus confirmera cela au verset 11. Mais voilà qu’auparavant, il dit une autre chose, inattendue : « Je suis la porte ». Jésus se trouve probablement dans les environs du Temple. Et cet épisode a lieu entre la fête des Tentes et la fête de la Dédicace (10, 22). 

Les contextes géographique et temporel sont deux éclairages importants pour comprendre le sens de ces paroles. La Torah juive associe la fête des Tentes à la sortie d’Égypte. Les « cabanes » dressées lors de cette fête rappellent la confiance que le peuple place en Dieu, qui l’a mené sur un chemin de libération. 

En disant « Je suis la porte » dans ce contexte de la mémoire de l’Exode, Jésus suggère qu’il est, Lui, l’unique chemin vers la liberté. Cette expérience du peuple d’Israël sous les tentes du désert, une expérience  de libération, c’est en Jésus que tout homme est désormais appelé à la vivre.

D’autre part, la fête de la Dédicace rappelle la célébration de purification et de consécration du Temple après la destruction subie sous Antiochus Épiphane. Dans le « Saint des Saints » du Temple, sa partie la plus sacrée, l’Arche de Dieu était vénérée du temps de Salomon.

En utilisant une synecdoque, on peut comprendre ici que Jésus prend la partie (la porte) pour le tout (le Temple). Autrement dit, il se révèle être le Temple de Dieu, le Temple de l’Alliance, espace où toute  consécration prend sens. La porte n’est donc pas seulement celle de l’enclos où le berger mettrait les brebis à l’abri : elle est la porte qui conduit à Dieu, le Père, et à la liberté. Jésus est cette porte. Une porte étroite, dit-il ailleurs, dont la dimension verticale évoque la Croix.

La porte, c’est le Christ, de sa naissance à sa mort et à sa résurrection. Par lui, il faut passer pour trouver le chemin du Salut et de la vie en abondance (10, 9 ; 10, 11). 

«Il les fait sortir»

Si le bercail dont Jésus est la porte se trouve être la nouvelle Terre Promise, la tentation serait de penser qu’on y entre définitivement et qu’une fois trouvée la terre ruisselante de lait et de miel, on n’a qu’à jouir de cette abondance sans se soucier du monde qui nous entoure.

Nouvelle surprise : le pasteur fait sortir les brebis de l’enclos ! Certes, la Terre Promise est ouverte définitivement au peuple et la Vie est donnée pour toujours à ceux qui croient en Jésus-Christ, mais leur exode n’est jamais terminé ! 

Ils sont appelés, comme Jésus, à aller et venir, à partir de ce lieu où ils prennent force dans sa Vie même, pour aller, à sa suite, vers l’extérieur. Pas d’installation pour le troupeau mené par Jésus ! Comme Pierre, au bord du lac, après la résurrection, se voit annoncer un avenir de pasteur qui le dépouillera et lui demandera d’assumer pleinement la responsabilité du troupeau, un avenir qui le déplacera du lac de Galilée jusqu’en terre romaine (Jean 21, 15-19), chacun des disciples est appelé à l’exode à la suite de Celui qui est la Vie. 

Comment alors ne pas entendre les échos actuels de cette parabole dans les paroles du pape François ? Il invitait les prêtres, au cours d’une messe chrismale (Pape François, Homélie de la messe chrismale, 28 mars 2013)à sortir vers les périphéries, à sortir d’eux-mêmes, pour être des pasteurs « avec l’odeur de leurs brebis », « au milieu de leur propre troupeau ». C’est le sens de toute vocation dans l’Église : être solidaire d’un peuple en train de sortir, en continuel exode, portant une odeur que le pasteur et les brebis partagent avec tous, celle de l’Évangile.

Véronique Thiébaut, religieuse de l’Assomption