Témoignage d’une des fondatrices

Interview de Sr Denise-Agnès Mwengesyali, une des fondatrices de la première mission des Sœurs Orantes de l’Assomption en Afrique.
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Tu es parmi les premières fondatrices des Orantes au Congo. Raconte-nous un peu le départ de France jusqu’à l’arrivée au Congo, il y a de cela 50 ans !
Sœur Marie-Dominique, Supérieure Générale de l’époque, nous avait envoyé : Yolande, Marie-Jaques, Emma-Stella (toutes décédées) et moi pour former la première communauté des Orantes en Afrique. Nous sommes parties de Sceaux en voiture, le 24 novembre 1969 jusqu’à Barcelone. De là, nous avons pris le bateau le 1er décembre 1969 jusqu’à Mombasa où nous sommes arrivées le 24. Nous avons traversé le Kenya, l’Uganda jusqu’au Congo, à Beni Paida le 7 janvier 1970 à 20h, les Oblates nous ont généreusement accueillies. Il est important de souligner qu’on avait été accompagné à Beni-Paida par un camion des militaires après un accident à Semuliki où on était resté désespérés avant d’être secourues par les militaires qui passaient par là et qui ont fait demi-tour pour nous ramener jusqu’à Beni Paida, je ne les oublierai jamais. Pendant trois mois nous sommes restées chez les Oblates, le temps de nous organiser pour trouver un logement. Les Pères assomptionnistes nous cèdent alors le logement où habitait Mgr Henri Pierrard en attendant la construction de notre communauté à Beni-Cité, où, deux ans après, nous avons pu déménager et nous y sommes encore aujourd’hui, voici 50 ans !
Comment as-tu vécu ce passage d’un monastère en France à une vie de fraternité à Beni ?
J’ai vécu en monastère durant toute ma formation en France. J’ai toujours vécu en grande communauté d’une cinquantaine de sœurs à Sceaux puis une bonne dizaine au Vigan. Arrivées à Beni, nous n’étions que 4 puis sr Lucie Élisabeth et les autres nous avait rejoints plus tard. Au monastère on ne sortait pas. À Beni j’ai eu difficile à m’habituer à la nouveauté, j’avais l’impression que la vie avait changée. Entant que jeune professe, ce changement m’a fort perturbée : de la vie dans un monastère où toutes nos activités étaient à l’intérieur à une fraternité où nous sommes devenues plus proches des personnes… Au fil des jours, j’ai été rassurée et j’ai compris que cela faisait suite au renouveau du Concile Vatican II qui invitait les congrégations à revenir à leur source. C’est vrai, Mère Isabelle a voulu les Orantes ouvertes aux réalités du monde. Concrètement, arrivées à Beni, nous étions plus proches et ouvertes au monde, on réalisait quelques activités : sr Marie Jacques donnait cours de français, je donnais la catéchèse aux enfants, on apportait la communion aux malades à l’hôpital général. Ces activités étaient en plus de nos activités habituelles à l’intérieur : imprimerie, jardin, couture, broderie et tricotage, etc. Et pour être plus proches des autres, on n’avait jamais la messe en communauté, on allait toujours à la paroisse.
Au vu de cette ouverture, ça allait de soi de vous faire « accepter » comme religieuses contemplatives ?
Certaines personnes, le clergé et les laïcs, avaient du mal à nous accueillir en nous voyant en dehors de la communauté car ils s’attendaient à ce que nous soyons en clôture au monastère et non à l’extérieur. Je pense que c’était l’ignorance car ils ne connaissaient pas cette forme de vie -institut de vie contemplative- qui était inexistant sur le diocèse. Nous avons été très critiquées et facilement on entendait dire que nous étions des sœurs actives comme les autres. Ne pouvant pas toujours nous défendre et nous justifier, certains faits ont parlé pour nous, notamment l’adoration diurne et nocturne, la chapelle ouverte pour favoriser la prier des uns et des autres, etc. Certains ont commencé à comprendre.
Tu penses alors que les Orantes au Congo ont donné le goût de prier pour témoigner de cette phrase qui nous est chère : « Prier et donner envie de prier » ?
Oui. Notre chapelle restait toujours ouverte, les gens pouvaient y venir à tout moment. Je signale qu’au monastère on n’avait pas de contact avec les personnes qui venaient prier chez nous, mais à ici on pouvait saluer les personnes qui venaient prier chez nous communauté, les gens pouvaient venir nous rendre visite en communauté. Notre chapelle de Beni est construite vraiment au bord de la route, les portes restent ouvertes, les gens venaient à l’adoration, les groupes venaient prier. Par ailleurs, dès le départ, l’accueil et la simplicité des orantes ont été des points qui touchaient ceux qui nous approchaient.
Quel impact est-ce que vos activités extérieures avaient sur les personnes qui vous côtoyaient ?
Quand les gens nous voyaient sortir ils pouvaient nous approcher facilement, compter sur nous et nous demander des services qui étaient pour nous comme une présence contemplative dans le monde. Par exemple, les communautés religieuses invitaient sr Yolande à donner des formations aux postulants et novices. Cela était comme un germe qui a permis à l’inter-noviciat et inter-postulat de voir le jour au diocèse de Butembo-Beni. Sr Yolande a été un des initiateurs de ces formations inter-congrégations.
Aujourd’hui, qu’est ce qui te fait du bien, qu’est ce qui t’encourage par rapport à cette fondation à laquelle tu as participé il y a 50 ans ?
Je me réjouis de voir que le Seigneur a inspiré à plusieurs autres jeunes après nous, de répondre à son appel en vivant du charisme légués par nos fondateurs, P. François Picard et Mère Isabelle. Je suis encouragée par l’épanouissement des Orantes au Congo, cela a favorisé le déploiement de la congrégation dans plusieurs autres pays d’Afrique. Aujourd’hui on retrouve au moins une sœur africaine dans toutes les communautés des Orantes dans le monde. Ça me fait du bien de voir le témoignage des sœurs africaines, les voir vivre un don joyeux au Seigneur et aux autres, voir que les sœurs sont heureuses d’être là pour dire ‘OUI’ au Seigneur. Je suis touchée par le témoignage de chacune, et malgré nos faiblesses, cela permet aux gens de venir prier avec nous. Mon souhait est que ce témoignage soit vivant et présent dans tout ce que nous vivons. Au fil des ans, la nouveauté qui concrétise notre mission et notre présence dans l’église c’est l’ouverture au monde : nous pouvons vivre la vie orante en travaillant, en étant présentes en dehors comme à l’extérieur de la communauté, le plus important c’est l’amour de l’autre et la relation à Dieu.
Qu’est-ce que tu peux dire aux Orantes africaines pour les 50 ans à venir ?
La seule chose que je répète c’est la question du témoignage de vie. Et comme Mère Isabelle, je conclue par cette belle interpellation qu’elle avait faite aux premières Orantes le 21 juin 1915 : « Aimez beaucoup votre congrégation, mes sœurs, c’est là que le Seigneur vous a appelées, c’est là qu’il vous a placées, c’est là qu’il vous fera trouver les grâces de sainteté, de perfection qu’il veut vous donner…». Mère Isabelle résume ainsi ce que je peux dire aux Orantes africaines en particulier et à toutes les orantes en général. C’est une invitation de rester dans l’esprit de la congrégation : vie fraternelle, vie de prière, don de soi joyeux et sans réserve avec un esprit ouvert et une grande disponibilité. Se donner à Dieu avec ce qu’on est, ses capacités et ses faiblesses, afin de vivre notre quotidien pour la gloire et le règne de Dieu.
F. An.
Les Orantes en Afrique
Il y a 50 ans, elles étaient 4 orantes africaines à mettre pieds en Afrique, au Congo précisément. Aujourd’hui, les Orantes se sont implantées dans plusieurs autres pays d’Afrique :
- Côte d’Ivoire
- Madagascar
- Togo
- Tchad
- Burkina-Faso
- Niger
- Tanzanie
- Kenya
Aujourd’hui la congrégation est constituée en grande majorité par les sœurs africaines. Dans toutes nos communautés dans le monde, il y a la présence d’au moins d’une soeur africaine. C’est un engagement pour nous de prier pour les soeurs africaines dans notre congrégation et dans l’église en général.
Quelques photos des Orantes au Congo