Orantes
Présence contemplative au cœur du monde
Rien n’est bon comme le détachement de soi-même, rien n’est déplorable comme la paresse spirituelle, j’en sais quelque chose---------Offrez-vous tous les matins et ne vous reprenez pas dans la journée---P. François Picard///////Il y a toujours à supporter, et tout le monde fait supporter. Il faut savoir se supporter mutuellement avec beaucoup de bonté, de patience, mais en même temps d'austérité de langage, avec l'affection des personnes données à Dieu---------- Je voudrai que pour nous prière et acte d’amour fussent synonymes----Mère Isabelle

Centenaire Mère Isabelle Dies Natalis

Centenaire de la naissance au ciel de M. Isabelle

Centenaire Mère Isabelle

Annonce du Dies Natalis

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Année centenaire du Dies Natalis de Mère Isabelle

Chères soeurs,

Le 11 juillet 1921, notre Mère Isabelle était portée en terre : huit jours après son décès pendant lesquels les veillées funèbres se sont succédé ainsi que les visites ou les rencontres en communauté habitées de multiples souvenirs de notre fondatrice.

Dans ma lettre d’entrée en centenaire, je vous annonçais « un feuillet présentant quelques souvenirs de Mère Isabelle dans le concret de ses derniers jours ». Vous le trouverez en pièce jointe ainsi qu’une rétrospective du vécu de la communauté Orante et de M. Isabelle dans la dernière étape de sa vie.

Puissent ces outils nous être un support pour nos démarches de centenaire et d’approfondissement de notre connaissance de Mère Isabelle.
Dans la même ligne, pour celles qui ne l’ont pas encore fait, je vous demande de faire une lecture travaillée de la biographie de M. Isabelle par M. M. Madeleine de Dainville. Il seraient bon que des groupes de partage soutiennent de tels projets, par exemple ainsi :

A.
 Lire attentivement le livre, chapitre par chapitre (dans le 1er chapitre, les longues explications généalogiques peuvent éventuellement être passées)

 Y relever – Ce que j’y découvre, qui m’intéresse ou m’interpelle et comment
– Ce qui m’interroge, que je ne comprends pas ou qui suscite en moi des questions

 Se rencontrer en groupe tous les deux chapitres du livre – en communauté entière ou organisé autrement. Y partager les points relevés et ce que je peux en dire, ce que nous pouvons en échanger. S’éclairer mutuellement si possible ou écrire une question commune qui semble importante et qui pourrait faire l’objet d’une recherche ou être adressée à une soeur que nous jugeons capable d’éclairer la question.

 Si la biographie de Mère Isabelle est déjà bien connue, ce type de lecture personnelle partagée en groupe peut être faite pareillement pour d’autres ouvrages sur M. Isabelle ou, mieux encore, de ses propres textes.

B.

Choisir le thème que je veux approfondir parce qu’il m’intéresse pour moi-même ou pour la vie de congrégation. Le noter ainsi que les objectifs que je voudrais atteindre et les ‘’chemins’’ que je pense prendre

Chercher dans le livre choisi (ou éventuellement dans d’autres documents de M. Isabelle ou sur elle et réalités de son époque) tout ce qui se relie au thème choisi

Constituer un groupe de parole pour y partager brièvement ce qui concerne le sujet choisi, ce qui a été trouvé sur le sujet depuis la rencontre précédente et s’entraider dans les recherches que les unes et les autres ont choisi de faire.
Vous vous posez une question ? Prenez l’habitude de chercher dans d’autres pages ou d’autres documents avant de demander et demander une orientation de recherche plutôt que d’attendre une réponse sans recherche personnelle.
Vous ne connaissez pas un mot ou une réalité ou n’êtes pas certaine de le comprendre ? Cherchez-en le sens plutôt que de passer outre !

Belle année d’approfondissement personnel et communautaire à chacune,
Bien fraternellement,

Soeur Anne

Récits de la Pâque de notre Mère

Récit des faits entourant la Pâque de notre fondatrice le 3 juillet 1921 
D’après ses biographes et les chroniques de la communauté de Sceaux

1. La dernière étape (voir aussi la biographie écrite par M. M. Madeleine de Dainville p. 381-392).

Le 6 mars 1919, Mère Isabelle fête ses 70 ans. Mais elle sent qu’elle n’a pas encore achevé sa tâche ! La maison de Passy, devenue petite, mal commode, au jardin trop exigu, ne peut pas permettre un développement futur. Le Christ n’a-t-il pas promis : « Tu auras beaucoup de filles » ?
Pour ses filles, elle veut un endroit calme et un horizon paisible qui porte à la prière. A force de frapper à toutes les portes d’agence et de prospecter les alentours de la capitale, elle finit par trouver dans l’été 1919 « la cage rêvée ». A Sceaux, une simple demeure, susceptible d’agrandissement, au milieu d’un jardin d’un hectare, avec une vue très belle sur l’étendue du Parc de Sceaux.
Au printemps suivant, premier emménagement. Pose de la première pierre de la chapelle. Elle souffrit de n’offrir à son Maître qu’une bien pauvre demeure, mais elle se débattait dans de grandes difficultés financières… Pour ma part, je trouve le jardin charmant, écrit-elle, mais à mon âge le changement de demeure, entraînant beaucoup d’autres changements, fatigue plus qu’il ne repose. Je me sens décliner de toutes façons, mais peu importe. La jeunesse semble contente, et ma pauvre personne n’a plus qu’à se préparer au grand passage…
A part le jardin « charmant », comme tout était pauvre ! On souffrit cruellement du froid l’hiver suivant… Mais, les jeunes étant contentes de l’espace plus grand, Mère Isabelle redressait son dos courbé par les rhumatismes et souriait de son tendre et malicieux sourire.
Elle se sentait à la fin de sa course. Tant d’années de labeur ! Qu’avait-elle fait ? Le bilan de son oeuvre était toujours maigre : les entrées n’arrivent qu’au compte-goutte et ne restent pas toujours ; l’essentiel n’est pas encore établi… Je mourrais contente, affirmait-elle souvent, si je pouvais voir auparavant l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement exposé. Cette consolation lui est refusée. « Votre insuccès est le succès de Notre-Seigneur » lui disait le P. Picard.
Toujours égale et sereine, sans retour sur elle-même ni plainte qui trahisse ses soucis accablants, Mère Isabelle garde pour elle tout ce qui pourrait contrister ses filles. Si l’une d’elles, émue d’une épreuve plus sensible, d’une contradiction plus inattendue qui atteint sa Mère, essaie de sonder sa pensée, un sourire ineffable mais silencieux est la seule réponse.
Elle avait « mal à la tête d’esprit et de corps » et elle ajoute : quand, après avoir fait tous les efforts possibles pour accomplir, tant bien que mal, les devoirs de ma charge, je veux prier, je n’ai plus que la fatigue et les distractions à apporter à Dieu. Et cependant, il reste un quelque chose en moi que j’appellerais, si je l’osais, l’oraison de simple regard, qui suffit pour que l’âme ne veuille que la volonté de Dieu, n’aspire qu’au bien véritable et s’apaise peu à peu en acceptant, pour l’amour de Dieu, ce labeur actif de chaque jour qui lui semble au-dessus des forces de sa vieillesse…
De jour en jour, les forces physiques de Mère Isabelle diminuent. Ses filles la surprennent montant l’escalier péniblement, s’arrêtant à chaque marche en murmurant : « Jésus! Jésus! » ou encore : « Mon Dieu, ayez pitié de moi!… » Dans cet état d’épuisement, toute fatigue supplémentaire devient intolérable, et c’est journellement que surviennent des imprévus, des surcharges. Alors l’humble Mère, navrée des premiers mouvements que la souffrance aiguë laisse échapper, se les reproche : Ma chère enfant, j’ai été fâchée de vous avoir si mal reçue hier, mais, voyez-vous, le surmenage est devenu impossible… Ayez donc compassion de votre vieille Mère, qui donne tout ce qu’elle peut pendant la récréation et aux demandes qui suivent et qui, une fois dans sa cellule, a besoin d’un moment de détente
qui remette son vieux cerveau en place… J’ai la crainte que cela augmente au lieu de diminuer, et je puis vous assurer que j’en suis désolée…
Chargée d’aider sa supérieure, Soeur Anne-Marie remarque l’accablement physique et moral de Mère Isabelle quand elle vient lui offrir sa collaboration. Mais, presque aussitôt, la Mère se redresse et se met au travail avec une énergie et une lucidité surprenantes. Il en est de même quand il s’agit d’une lettre d’affaires exigeant une entière présence d’esprit.
La pensée de la mort lui était familière et les traces en sont nombreuses. Dès 1904, elle écrivait à sa fille : Je pense que je ne tarderai pas à faire mon petit paquet. Maintenant que mes filles savent chanter la messe de Requiem, mon service pourra se faire très gentiment à la chapelle…
Suite à la retraite annuelle de la communauté en avril 1921, elle écrit au Père André : Mon âme est distraite par toutes choses, et cependant, quand quelque chose la rappelle à elle-même, l’aimant attire l’aimant, et l’aimant, c’est Dieu qui s’unit à ma pauvre petite personne. Cette personne est muette devant Dieu, mais je crois qu’elle l’aime. Devant le berceau d’un enfant, devant le lit d’un malade, on peut rester des heures sans rien dire. On regarde, on aime et cela suffit, quoiqu’on ne réalise pas toujours que c’est l’amour qui absorbe votre coeur et vos facultés, et si on est fatigué physiquement et incapable de penser, l’on continue néanmoins à aimer.
Malgré tout, Mère Isabelle tient bon, marchant avec peine dans le jardin du monastère, mais se baissant néanmoins fréquemment pour ramasser des brindilles de bois mort. Ce petit fagot, elle était si heureuse de le porter chaque jour à la Soeur cuisinière avec un charmant sourire : « Tenez, ma fille, voici pour allumer votre feu… ».
Amoureuse de la pauvreté, Mère Isabelle avait souhaité, au temps de l’abondance relative, manquer du nécessaire. Un peu avant sa mort, elle fut satisfaite : Je me suis demandé toute ma vie comment je pourrais réaliser cette grande perfection. A présent, ma fille, je puis mourir, car je connais la pauvreté, je vis la pauvreté.

2. Le vécu de la communauté pendant les derniers jours (d’après les chroniques)
Le samedi 18 juin 1921, les chroniques font mention de l’absence de notre Mère, obligée de passer cette journée chez sa fille.
Le mardi 21 juin, parmi les lectures faites au réfectoire, la communauté prend le plus vif et joyeux intérêt au récit du pèlerinage des novices d’Osma à Compostelle écrit de manière vivante pittoresque et savoureuse.
Le jeudi 23 juin, Sr. Marie-Lucie, à force d’ingéniosité, est arrivée à atténuer le bruit du moteur de l’orgue et les progrès sont constatés pendant les 1ères vêpres et les laudes de St Jean-Baptiste… mais le 24 plus rien n’a fonctionné… et l’harmonium vint une fois de plus sauver la situation pendant la grand’messe. La chroniqueuse précise que dans l’après-midi une heure de récréation se passe au pied de Notre Dame des Anges sous l’ombrage du cèdre qui nous protège des ardeurs du soleil estival.
Le samedi 25 juin, il est a noté que la sécheresse est telle que la ville de Paris coupe la distribution d’eau une partie de la journée. Le livre précédant étant terminé, M. Isabelle met en lecture commune un volume intitulé Les âmes généreuses. Dans l’après-midi, il y a exercice de la cérémonie de profession ainsi que le mardi suivant.
Le lundi 27 juin, Madame de Virieu est venue passer quelques heures auprès de sa mère avant de partir à la campagne.
Le mardi 28 juin, la journée est très remplie. Une affiche est mise dans la petite chapelle du public pour avertir qu’elle sera fermée toute la matinée du lendemain. Au chapitre, M. Isabelle exhorte à une grande reconnaissance et à un ardent amour envers la sainte Eglise qui nous reçut … en la fête des deux colonnes de l’Eglise.
Le mercredi 29 juin, c’est jour de profession. La chapelle est agréablement ornée de fleurs blanches et tentures rouges. Toute l’Assomption est représentée. De la chapelle du public – réservée aux invités qui y sont « entassés » – pour beaucoup il s’agit de voir ces Orantes dans leur belle livrée monastique alors qu’elles sont ordinairement camouflées sous des oripeaux démodés. Elles devront d’ailleurs se hâter de retirer leur tunique blanche aussitôt après la cérémonie pour aller au parloir en vêtements noirs… L’heure ne semble pas venue encore de révéler franchement notre identité.
La cérémonie commencée à 8h par la procession se termine à 10h. Nous aurions joui davantage de la grande récréation si nous n’avions remarqué la fatigue extrême de notre chère Mère, note la chroniqueuse en finale.
Le jeudi 30 juin, lecture est faite d’intéressants détails sur l’extraordinaire vocation religieuse du Comte d’Elbée et de sa femme. Ayant sollicité et obtenu du Saint-Siège l’autorisation de suivre l’appel de Dieu, ils sont entrés, l’un chez les Pères de Picpus l’autre au Carmel de Louvain.
Le samedi 2 juillet, la communauté a vécu une agréable récréation sous le cèdre. Notre mère nous exprime sa joie de nous voir réunies toutes autour d’elle. Elle nous parle notamment du père La Fonta qui vient d’être ordonné prêtre malgré sa double infirmité de sourd-muet. Exemple sans précédent dans l’église… La vocation du comte et de la comtesse d’Elbée anime la conversation que notre mère dirige avec beaucoup d’entrain.
Au salut du Saint-Sacrement… c’est un chant d’actions de grâce au soir du 15e anniversaire des premiers veux canoniques émis par nos anciennes dans notre cher Institut.

3. Le dimanche 3 juillet 1921
Jour de grand deuil pour notre petite famille : notre Mère très aimée, notre sainte fondatrice a été subitement ce matin rappelée par le Bon Dieu… Notre Mère est partie !
Vers 4h½, des bruits insolites, sonnerie de téléphone, va-et-vient dans le corridor éveillèrent des soeurs du premier étage qui se levèrent alarmées. Tandis qu’elles accouraient auprès du lit de notre Mère, Sr. M. Bernard se hâtait de parcourir les autres étages pour donner l’éveil. Les premières soeurs descendues arrivèrent pour recueillir le dernier soupir de notre vénérée fondatrice, les autres trop tard.
Joseph, sa femme et Melle Forgeot s’étaient empressés d’aller chercher un prêtre et un médecin : tous les deux arrivèrent après le décès.
Malgré l’affirmation de ce docteur et du médecin traitant qui vint ensuite, nous ne voulions pas croire à la mort de notre Mère, surtout Sr. Elisabeth qui voulait nous persuader que Mère Isabelle allait bientôt se réveiller… et qui employait tous les moyens pour obtenir ce résultat…
Mère Isabelle s’était trouvée souffrante dès 2h du matin suite à ce qui semblait être une mauvaise digestion et n’avait appelé personne. C’est seulement vers 4h½ que Sr. Elisabeth, entendant des gémissements, entra dans la cellule de notre Mère. « Je souffre tant, lui avoua-t-elle que je vais sûrement mourir… mais non, ce n’est qu’un rêve, je ne suis pas si mal que cela ! » Sr. Elisabeth lui prodigua ces soins et quand notre Mère se fut recouchée elle dit à la dévouée Assistante : « Dites-leur bien que je les aime, toutes, toutes, pauvres enfants ! …Et mes enfants si loin ! » Puis encore : « on est si bien au ciel » … Ce furent ses dernières paroles.
Notre Mère est morte comme elle a vécu, dans le silence et l’humilité.

Quelques souvenirs

Quelques souvenirs des 2-3 juillet 1921

Chroniques

Récit des faits entourant la Pâque de notre fondatrice le 3 juillet 1921 – N°2

Nous avons quitté Notre Mère, revêtue de l’habit religieux, pour assister à la grand’messe du VIIe Dimanche après la Pentecôte. Des sanglots coupaient parfois le chant ; les coeurs étaient brisés mais soumis à l’adorable volonté de Dieu ; les paroles liturgiques de l’offertoire de ce dimanche s’appliquaient adéquatement à l’offertoire douloureux des filles de Mère Isabelle : comme un holocauste de béliers, de taureaux, d’agneaux gras par milliers, que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi, car il n’est pas de honte pour qui espère en toi.

Notre Mère repose en ce moment sur un lit de parade dans la salle capitulaire dans ces vêtements blancs dont elle aimait parer ses filles en les conduisant à l’autel. Son visage rayonne d’une beauté céleste, il exprime une telle paix, une si grande sérénité que nous ne nous laissons pas de le contempler. Toute la journée, les visites se succèdent. Nos Pères et soeurs nous entourent des témoignages de leur religieuse sympathie. Des télégrammes envoyés en divers endroits essaieront de joindre Mme de Virieu actuellement en voyage. Soeur Elisabeth attend son arrivée pour fixer le jour des obsèques et, en attendant, multiplie les démarches pour obtenir l’autorisation de faire inhumer notre bien-aimée Mère dans le jardin. Si cette grande consolation nous est refusée, il est probable que les restes vénérés de notre fondatrice seront déposés dans le caveau de famille du cimetière du Trocadéro auprès de Chantal de Virieu.

A 10h, arrivée de notre bon Père André qui nous réunit dans la salle capitulaire auprès du lit funèbre. Après avoir prié un long moment, le Père se tourne vers nous :
« Mes chères filles, nous devons nous soumettre à la volonté du bon Dieu et abandonner à sa Providence le soin de l’avenir. Quelles que soient les difficultés, n’ayez aucune crainte, aucun trouble. Au moment de la mort du Père Picard, ce fut très pénible et cependant l’oeuvre a grandi. Il en sera de même maintenant, j’en ai l’absolue confiance. Sachez souffrir comme doivent le faire des contemplatives, des Orantes qui sont plus du ciel que de la terre et restent calmes en face de la mort.

« Puisque la tête est au ciel, les membres doivent être plus forts. Que vous pleuriez, je le comprends et je ne vous en empêche pas car les larmes sont le sang du coeur. Lorsque le coeur est blessé, les larmes coulent comme coule le sang dans les blessures corporelles. Les larmes et le sang sont les deux choses qui rendent témoignage ici-bas : vos larmes témoignent qu’elle était bien votre mère, celle qui vous a formée et qui avait tout votre confiance.
« Quand elle vivait parmi vous, elle s’inquiétait quelquefois ; maintenant, elle est en paix. Elle voit ce que voient les âmes qui ont amené d’autres âmes au bon Dieu. Elle voit sa Congrégation dans son avenir et son développement.

« Qu’elle nous donne à nous de continuer son oeuvre, de la voir grandir et de réaliser ses vues sur elle. Pleurez donc, mais soyez des âmes fortes, des âmes viriles. Puis, vous le savez, nous sommes là pour parer à tout et nous comptons bien sur vous.
« Je vous bénis au nom de notre père qui est au ciel, au nom de votre mère qui est au ciel, et au nom du Père Joseph qui m’a tout spécialement chargé de vous. » Le Père André réunit ensuite le Conseil.

A 1h1/2, Soeur Héléna se fait adoratrice dans notre chapelle pour que nous assistions toutes à la nouvelle réunion de notre Père André dans la salle de communauté.

« Mes chères filles, demandez au divin Maitre et à la Sainte Vierge de bénir et garder cette Congrégation qui a maintenant sa tête dans le ciel et qui ressemble, par conséquent à Notre Seigneur et à la Sainte Eglise. Notre Seigneur disait à ses apôtres : « il vous est utile que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, vous ne recevrez pas l’Esprit-Saint ». Nous pouvons nous appliquer cette parole. Si ceux qui nous ont fondées, qui ont été notre tête, ne s’en allaient pas, notre Congrégation ne pourrait pas se développer, car les oeuvres ne se développent qu’après la mort des fondateurs. Il est dit : « autre est celui qui sème et autre celui qui recueille, mais tous deux auront la même récompense ».

« Peut-être verrons-nous grandir la Congrégation ? Peut-être, au contraire, restera-t-elle stationnaire, ou bien faudra-t-il lisser encore le grain en terre afin qu’il porte plus de fruit ? Mais nous aurons toujours le même Notre Seigneur qui est notre unique récompense.
« Nous ne sommes ici-bas que pour aller au ciel. Nous ne sommes nés que pour renaître. Quand il s’agit des saints, nous appelons le jour de leur mort jour de naissance : dies natalis … Par conséquent nous dirons : aujourd’hui notre congrégation prend une nouvelle naissance. »
« La date d’hier marquait le quinzième anniversaire de la première profession des Orantes autorisée par la sainte Eglise, et votre Mère a choisi ce jour, ce lendemain pour s’en aller au ciel
« Depuis quelque temps, elle pensait davantage à la mort. Depuis la dernière retraite, elle était dans des sentiments tout à fait extraordinaires vis-à-vis du ciel et du bon Dieu. Elle n’avait plus ces angoisses qui l’ont tant fait souffrir à certains moments. Votre changement de maison lui avait été une épreuve, une fatigue très grande ; mais Notre Seigneur voulait qu’elle vous conduise ici où vous vous développerez dans la paix, la tranquillité et la joie. Une fois cela fait, elle est partie pour le ciel.

« Vous savez combien elle était pleine de mérites de grâce et de sainteté, comment elle vous a toujours donné l’exemple. Il n’est pas un seul moment dans sa vie où elle n’a été ce que le bon Dieu voulait qu’elle fût.
« Ayez en elle une immense confiance : dans toutes les difficultés où vous serez, elle vous viendra en aide bien plus que sur la terre. La santé et son âge l’empêchaient de faire pour vous tout ce qu’elle aurait voulu. Actuellement, elle vous voit, elle vous regarde et, si vous permettez au bon Dieu de lui donner la pleine possession de vos âmes, elle réalisera les vues divines sur vous et vous rendra telles qu’Il vous veut. Elle est plus près de vous qu’elle ne l’était avec son corps qui ne lui permettait de faire que des choses extérieures sans aller toujours jusqu’au fond. Elle y va maintenant.
« Ne vous tourmentez pas, ne vous inquiétez pas, ne vous préoccupez pas de savoir comment vous vivrez parce que le bon Dieu vous fera vivre. Les petits oiseaux ne se demandent pas ce qu’ils mangeront et le Père Céleste leur donne tout le nécessaire. Soit au point de vue matériel, soit au point de vie spirituel, restez dans la paix et la tranquillité.
« Plus on est affligé, plus il faut avoir confiance et recourir à Notre Seigneur. Imitez la Sainte Vierge dans la vie si pauvre à Nazareth. Vous êtes contemplatives, restez contemplatives, c’est-à-dire des âmes qui ne s’inquiètent pas de ce que le bon Dieu fera d’elles, de ce qu’Il leur donnera ou leur refusera. Dans les angoisses et les difficultés, il ne faut pas regarder plus loin mais au ciel : c’est de là que vient le secours. « Dieu vient à mon aide, Seigneur à notre secours ! Ce doit être là notre prière.

« Evidemment, le deuil qui vous frappe est plus pénible parce qu’il est inattendu. Si votre Mère vous avait quittées après plusieurs jours de maladie, vous auriez pu la voir et lui parler, mais le bon Dieu ne l’a pas permis. Elle avait toujours demandé de s’en aller ‘sans embarras’ … elle a été exaucée. »
Les soeurs rappellent, à tour de rôle, leurs souvenirs sur notre mère bien-aimée et la réunion prend la tournure animée d’une conversation entre le Père et ses filles.

  • Une soeur : hier, Notre Mère était plus gaie que de coutume et avait encore porté à la cuisine son petit fagot de bois.
  • Soeur M. Bernard : Depuis quelque temps, lorsque je pénétrais dans sa cellule le matin, elle était toujours éveillée et avait un air céleste recueilli, un visage illuminé.
  • Soeur X. : le 29, après la cérémonie, notre Mère exprimait sa satisfaction de cette belle fête réussie et déclarait en riant, au sujet d’un détail qu’elle-même avait fixé : « je suis bien souvent victime des règlements que je fais ! »
  • Le Père : Au point de vue spirituel comme au point de vue temporel, votre Mère était tout-à-fait remarquable.
  • Soeur Y. : Nous avons beaucoup de lettres d’elle, toutes très belles. Elle s’occupait de tout et avait encore pensé hier soir à la fête de la Très Révérende Mère Berthe le présent qu’elle lui destinait est la dernière chose qu’elle ait préparée. Elle disait dernièrement : « je me sens si fatiguée … mais ce sera bientôt fini ».
  • Le Père : Vous avez lu dans les leçons du VIIe Dimanche après la Pentecôte que la sagesse grandit à mesure que les forces naturelles diminuent. Ainsi en était-il pour elle. C’était une âme élevée à un haut degré de sainteté. Elle était Sainte aussi bien dans les petites choses que dans les grandes. Son humilité et sa délicatesse étaient extraordinaires. Elle n’était pas une Supérieure semblable aux autres et a voulu être le modèle des Orantes tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Elle ne voulait pas vous donner l’habit avant de voir comment les événements tourneraient pour l’Assomption de crainte de sacrifier la vie religieuse à l’habit.
  •  Soeur Z. : Depuis quelque temps, notre Mère ajoutait toujours après ses recommandations : « qu’on s’en souvienne quand je n’y serai plus »… Elle avait une grande dévotion au Sacré-Coeur ; les images de Sainte Marguerite-Marie que lui avait offertes le R.P. Gibert sont les dernières qu’elle nous avait distribuées.
  • Le Père : Sa grande préoccupation visait la pénitence et l’humilité : elle craignait qu’on en fit plus de mortifications et qu’on eût le désir d’introduire chez vous des soeurs converses. On ne vous en donnera pas, quoi qu’il puisse vous en coûter.
  • Soeur Xa. : Notre Mère a communié pour la dernière fois en l’anniversaire de ses voeux perpétuels ; ce matin encore, elle ne voulait rien absorber pour ne pas perdre sa communion…
  • Soeur Ya. : Notre Mère avait détruit beaucoup de notes ces jours-ci. Nous lui avions demandé de conserver ses cahiers de retraites, mais nous craignons qu’elle ne les ait détruits.
  • Le Père : Son grand chagrin était de ne plus pouvoir donner autant qu’elle l’aurait voulu. Mais il vaut mieux être pauvre et avoir son trésor dans le ciel. Maintenant votre père et votre mère sont au ciel. Ne soyez pas des dégénérées mais des âmes de foi inébranlable comme vos fondateurs.
  • Soeur Za. : Notre Mère relisant il y a quelque temps le récit de la mort du Père Picard s’arrêtait à ces paroles qu’il prononça au moment suprême : « peut-on vouloir autre chose que ce que le bon Dieu veut ?  »
  • Le Père : Votre Père, en effet, ne voyait que cela et ne se troublait jamais. Quand nous avons eu la fameuse perquisition, il était midi ; j’allai demander au Père Picard ce que l’on ferait le soir : « mais, me répondit-il, comme hier. On doit toujours observer la régularité comme si rien d’anormal ne se présentait, nous sommes religieux avant tout et devons le rester, quoi qu’il arrive ».

« Ainsi, soyez religieuses. Dites au bon Dieu : « Amen. Alléluia ! Je me remets entre vos mains, je suis vôtre de toutes façons, dans la peine mêlée de joie comme dans la joie mêlée de peine ». Quand on pense à votre Mère, il ne peut y avoir que de la joie. N’a-t-elle pas dit ce matin qu’il était doux d’aller au ciel. »
« Soyez au divin Maître et que son sang vous donne force et courage pour porter cette épreuve qui n’est pas une épreuve, car comment ne pas se réjouir de voir une âme comme celle-ci monter au ciel ? Il est nécessaire que nous souffrions parce que la souffrance nous fait acquérir des mérites mais nous devons être heureux que notre sainte soit en Paradis.

  • Soeur Xb. : La clôture préoccupait notre Mère et elle était satisfaite quand nous lui disions que les personnes du monde nous trouvaient très séparées.
  • Le Père : On mettra la clôture ; on s’arrangera pour que vous soyez bien chez vous.
  • Soeur Yb. : Notre Mère désirait placer une Madone dans le fond du jardin, dans un endroit où elle aimait à se retirer pour faire oraison, toute perdue en Dieu.
  • Le Père : Il faudra placer la Madone et accomplir tous ses désirs…
    Je vais vous quitter, mes enfants, pour aller prévenir le Cardinal. J’ai fait télégraphier au Père Joseph qui est à St Maur et doit rentrer demain soir à Paris.
    Le Père André nous bénit et nous nous dirigeons vers la chapelle pour chanter les vêpres.

Vers 4h, pendant qu’un parent de soeur M.B. photographie notre chère Mère, nous recevons la visite de la Très Révérende Mère Marie du Saint Sacrement, supérieure générale des Petites Soeurs, qui a tenu à nous apporter en personne l’assurance de son affection et de sa sympathie. Elle est accompagnée de soeur M. Marguerite de la Croix qui nous rappelle avec émotion que Notre Mère lui avait écrit au verso d’une image ces quelques lignes : « Les Orantes et les Petites Soeurs ne font plus qu’un dans le coeur de Jésus et c’est soeur Marguerite qui sera leur trait d’union ».
Après avoir prié auprès de la couche funèbre de notre Mère, la vénérée Supérieure des Petites Soeurs voulut bien nous adresser la parole dans la salle de communauté non sans avoir poussé le fauteuil que nous lui avons préparé au milieu de la salle, se mettant sur l’un des côtés pour ne pas occuper la place de notre Mère :
« Mes chères soeurs, c’est mon coeur, vous le savez, qui m’amène vers vous. Depuis longtemps déjà je désirais venir, mais qui aurait cru que je réaliserais ce désir en un moment si douloureux ?
« Je me souviens que, peu de temps avant la mort de notre Mère fondatrice, notre vénéré Père, nous faisant pressentir le douloureux sacrifice que le bon Dieu allait nous demander, nous assura que ce départ pour le ciel nous serait comme un second baptême.
« Il en sera de même pour vous. Celle que vous pleurez est une sainte et esprit ne vous quittera pas : les séparations n’existent pas pour les âmes, soyez-en bien assurées. Ces morts soudaines nous apportent de salutaires leçons : elles nous rappellent que la vie religieuse est une mort, mais une mort qui mène à la vie.
« Votre Mère est votre modèle, ses exemples vous restent et vous la continuerez. On n’a, en effet, qu’un Père et une Mère qui se survivent dans leurs descendants. De là haut, elle vous aidera car elle voit tout maintenant. Sur la terre, elle ne pouvait pas toujours pénétrer jusqu’au fond de vos âmes : actuellement, au contraire, rien ne lui est caché.
« Souvenez-vous de la parole de l’Ecriture : « n’éteignez pas l’esprit » et travaillez à votre sanctification selon les vues de celle qui vous a fondées, c’est-à-dire dans le silence, la contemplation, l’union intime et constante à Lui seul, tout seul.
« J’ai voulu la prier de me secourir afin que je me prépare, moi aussi, à faire le grand voyage quand le moment sera venu.
« Nous allons beaucoup prier pour que sa sainte dépouille vous reste, et alors… vous ne pleurerez plus ? … Ce n’est pas très sûr, ajoute la Mère en nous regardant avec une douce compassion. »
Mère Marie du Saint Sacrement nous recommande ensuite le chapitre général des Petites Soeurs, et comme soeur Elisabeth assure que nous prierons pour qu’elle soit confirmée dans sa charge, la Mère répond : « Si je m’écoutais, je supplierais qu’on me fasse grâce, mais il me semble qu’il vaut mieux s’abandonner complètement à la divine Providence. »
La Mère consent enfin à nous bénir mais en prononçant la formule, elle accentue le mot : [nous … descende sur nous…] Avant de nous quitter, elle veut bien donner à chacune un maternel baiser.
A 5h, Mr le Curé de Sceaux vient prier auprès de notre Mère ; il remarque sa surnaturelle beauté et s’écrie : « pauvre maman, c’est aussi désolant qu’inattendu » !
Après son départ, récitation de l’office des morts dans la salle capitulaire, nos soeurs Oblates nous suppléent à l’adoration.
Après le salut, le Père Antoine rentre le Saint Sacrement. Matines à 8h. Puis la veillée funèbre commence…
Notre Mère disait ce matin : « Je crois que je vais m’endormir »… elle paraît dormir paisiblement, en effet, avec un ravissant sourire sur les lèvres. Mais nous croyons qu’elle s’est éveillée dans la vision bienheureuse, que le « voile ténu » s’est complètement déchiré.
« Jesu, quem velatum nune aspicio, ora fiat illud
Quod tam sitio : ut te, revelata cernens facie, visu sim beatus tua gloria”…
O Mère aimée, de la Patrie où vous avez dû être si bien accueillie par Dieu, par la Sainte Vierge, par notre vénéré Père et nos soeurs, veillez sur nous vos enfants orphelines, obtenez-nous le parfait abandon au bon plaisir divin et réalisez vos ambitions maternelles en nos âmes qui se confient totalement à vous !

Quelques pensées du Père Picard