Présence contemplative au cœur du monde
Rien n’est bon comme le détachement de soi-même, rien n’est déplorable comme la paresse spirituelle, j’en sais quelque chose---------Offrez-vous tous les matins et ne vous reprenez pas dans la journée---P. François Picard///////Il y a toujours à supporter, et tout le monde fait supporter. Il faut savoir se supporter mutuellement avec beaucoup de bonté, de patience, mais en même temps d'austérité de langage, avec l'affection des personnes données à Dieu---------- Je voudrai que pour nous prière et acte d’amour fussent synonymes----Mère Isabelle

Ste Marie-Eugénie : Souffrance et gloire de Dieu

.

.

Sainte Marie Eugénie et la passion et la mort de Jésus

Sainte Marie Eugénie considérait que la « méditation de la Passion de notre Seigneur » était une des pratiques les « plus utiles » pendant le Carême. De telles méditations, pensait-elle, nous aident à « entrer dans les dispositions de Jésus vis-à-vis de la souffrance ». Elle nous invitait à apprendre à voir ce qui nous fait souffrir « comme un don de Dieu ». J’ai été heureuse de voir qu’à l’instar de l’évangile selon Saint Jean, Marie Eugénie a interprété la passion et la mort de Jésus comme « le témoignage suprême de son amour » pour nous. Nous pouvons donc nous poser les questions suivantes : comment comprenons nous la passion et la mort de Jésus ? Que signifie « entrer dans les dispositions de Jésus vis-à-vis de la souffrance » ? Qu’est-ce qui nous aide à accepter la douleur comme un don de Dieu ? Comment ouvrir encore plus nos vies à la grâce en ces temps troublés de la pandémie ? J’espère que ces réflexions nous aideront à mieux faire face aux nombreuses épreuves dont nous sommes témoins et que nous subissons aujourd’hui.

Dans l’évangile selon saint Jean, la forme verbale « se donner » (τίθημι / tithēmi) renvoie à la passion et la mort de Jésus. Jésus est présenté comme le Bon Pasteur qui « donne sa vie pour les brebis » (Jean 10,11) et le Bon Pasteur fait cela pour donner « la vie, la vie en abondance » (10, 10). On utilise également ce verbe dans le contexte de l’amour de Jésus pour ses disciples, qu’il considère comme ses amis : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (15, 13). Le quatrième évangéliste interprète la mort de Jésus sur la croix comme une puissante manifestation de l’amour-amitié de Jésus, de l’amour du Berger, qui s’offre en sacrifice pour donner aux brebis la vie en abondance. Ailleurs dans l’évangile, la mort de Jésus est présentée comme la révélation la plus forte de l’amour inconditionnel de Dieu (3, 16), du pouvoir rédempteur de Dieu (3, 14-15) et de la gloire de Dieu (δόξα / doxa ; 12, 28-34). La gloire de Dieu représente ici son amour bienveillant ( דֶ סֶ ֶ֥ ח / hezed ; Ex 34, 6) et sa présence bienfaisante ( ודֹבָּכ / kābod ; Ex 16,10) au milieu de nous.

Si nous comprenons ainsi la mort de Jésus, Jésus souffrant sur la croix est notre Héros – notre Ami, notre Bon Pasteur, notre Sauveur et Seigneur. La mort de Jésus sur la croix révèle le pouvoir prophétique de l’amour salvifique de Dieu.

Aujourd’hui, Jésus ne veut pas seulement des sympathisants ou des personnes accablées par le deuil, il a besoin de disciples radicaux qui souffrent avec lui et se sacrifient eux-mêmes afin d’assurer pour tous, spécialement pour nos frères et sœurs moins privilégiés, la « vie en abondance ». Si nous essayons d’améliorer la vie de tous et de construire des communautés d’amis, nous contribuerons également à rendre la gloire de Dieu plus visible dans notre monde changeant.

Notre souffrance et la gloire de Dieu

La souffrance est inhérente à l’être humain. Comment pouvons-nous être à l’aise face aux afflictions, aux problèmes ou face à ce que nous appelons les croix de la vie quotidienne ? Comme le Livre de Job le souligne, chaque être humain – depuis sa naissance jusqu’à sa mort – rencontre des surprises, des joies et des peines, des sécurités et des insécurités, des succès et des échecs, des certitudes et des incertitudes. Deux choix différents s’offrent à nous dans la vie. Selon les mots de Job : « Si nous accueillons le bonheur comme venant de Dieu, comment ne pas accueillir de même le malheur ? » (Job 2, 10b). En ces temps difficiles, faisons un choix sage et révélons la gloire de Dieu en rendant de plus en plus visible son amour bienveillant dans nos communautés et nos familles. Apprenons à vivre avec la douleur et la détresse ; traversons les malheurs à la lumière de la foi, comme Job l’a fait. « Nu, je suis sorti du ventre de ma mère, nu, j’y retournerai ; le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a repris, que le nom du SEIGNEUR soit béni ! » (Job 1, 21). Nous sommes donc invités à devenir plus humains en voyant les choses avec les yeux de Dieu.

Notre vie est faite d’expériences qui peuvent être plaisantes ou déplaisantes, joyeuses ou difficiles. Nous ne pouvons pas toujours déterminer la nature exacte de ces expériences, mais nous pouvons assurément décider de la nature de nos réponses. Nous pouvons essayer d’éviter la souffrance comme si c’était quelque chose de négatif ou l’accueillir comme une opportunité de croissance. La décision nous appartient et elle n’appartient qu’à nous. Lorsque nous cherchons à fuir la souffrance, nous souffrons encore davantage. Comme Thomas Merton l’a dit : « Plus vous cherchez à éviter la souffrance, plus vous souffrez, parce que des choses plus petites et plus insignifiantes commencent à vous torturer, proportionnellement à votre peur d’être blessé. Celui qui fait le plus d’efforts pour éviter la souffrance est, en fin de compte, celui qui souffre le plus » . D’un autre côté, comme le suggère Marie Eugénie, quand nous accueillons les difficultés comme des dons de Dieu, nous adoptons une autre attitude et un autre état d’esprit à l’égard de la vie et de ses défis. C’est bien le fruit de la spiritualité dans nos vies.

La spiritualité nous aide à devenir des personnes libres et confiantes puisque nous comptons sur la providence de Dieu. Une conscience profonde de la vérité selon laquelle notre vie – chacune de nos inspirations – est un don de Dieu, nous rendra vraiment capables d’accepter les vicissitudes de l’existence comme un don de Dieu. Nos vies seront plus riches si nous acceptons les difficultés, les déceptions et les échecs, non pas comme des expériences malheureuses mais comme des opportunités pour aimer plus profondément au service de la vie en plénitude. Nous nous trouverions ainsi plus disponibles aux surprises de la vie, et nous trouverions la grâce de Dieu plus effective dans nos existences. C’est la manière de faire de Sainte Marie Eugénie, la manière de faire de l’Assomption.

Nous ne cherchons pas la souffrance pour elle-même mais nous souffrons en vue d’une vie en plénitude. Des possibilités de guérison et de transformation se cachent dans la souffrance humaine. La souffrance acceptée avec une finalité est une force qui nous transforme. Les multiples difficultés de l’existence peuvent se transformer en source de sacrifices porteurs de vie et d’amour livré. Nous apprenons à embrasser des horizons plus larges de notre réalité. Notre souffrance devient source d’une énergie et d’un dynamisme nouveaux, et elle suscite un nouvel élan en faveur d’une nouvelle vie.

Créons donc un « espace accueillant » pour les surprises de l’insécurité, les surprises de la maladie, les surprises des obstacles qui se présentent à nous. Et partageons les dispositions de Notre Seigneur Jésus vis-à-vis de la souffrance afin d’expérimenter la grâce qu’elle apporte. De même qu’il n’y a pas de résurrection sans passion et sans mort, de même il n’y a pas de nouvelle vie sans douleur et sans épreuves. La souffrance a une autre signification lorsqu’elle est considérée comme l’expression d’un amour plus grand en vue d’une vie en plénitude pour les autres – nos amis, nos voisins, les membres de notre famille ou de notre communauté.

L’expérience de la souffrance peut devenir une expérience de la présence salvifique de Dieu, conduisant à la construction de la communauté, de la famille et de la société. Cette expérience est un don de Dieu et elle nous donne un aperçu de la gloire de Dieu révélée en Jésus. La pandémie nous rappelle plus que jamais notre mortalité et la nécessité de nous préparer sur tous les fronts. Poursuivons notre « chemin de carême vers la conversion » à travers la prière et un examen de conscience sincère.

Jeûnons et tendons la main aux pauvres et aux nécessiteux dans un esprit de solidarité. Faisons un jeûne d’indifférence et de jugement et soyons ouverts au dialogue en vue de la rencontre et de la communion. Jeûnons de colère et d’animosité et jouissons de la paix et de la grâce de Dieu. Jeûnons de négativité et trouvons notre joie dans une vie nouvelle, pleine d’espérance. Plus encore, jeûnons de la tendance à éviter les épreuves et célébrons-les comme des opportunités pour susciter la vie et révéler la gloire de Dieu. Nous serons ainsi mieux préparés à nous réjouir et à recevoir les bénédictions du Seigneur Ressuscité. En ce jour de sa fête, célébrons notre vie avec toutes ses joies et ses peines et faisons sourire Marie Eugénie !

Rekha M. Chennattu, Supérieure Générale des Religieuses de l’Assomption