L’identification de Jésus avec la figure du berger ou du pasteur était déjà difficilement accessible aux auditeurs de l’Antiquité orientale.
Qui est légitime pour s’occuper des brebis ?
Cette question hier compliquée, l’est encore dans notre culture urbaine et nécessite un décodage, car, par sa construction, ce texte est écrit pour expliciter l’identité de Jésus, dans un contexte où la guérison de l’aveugle-né avait déclenché un conflit avec les autorités religieuses. Qui est légitime pour s’occuper des brebis ? Cette difficulté à se faire comprendre par ses auditeurs, est la raison d’être de cet extrait où Jésus explicite son recours aux images du monde pastoral, celui de l’élevage dirions-nous aujourd’hui, pour développer le thème de la légitimité du berger, du bon berger avec lequel l’évangéliste l’identifie.
Dans son explication, Jésus associe deux images, celle de « la porte » et celle du « berger », la porte étant la passage obligé qui permet de distinguer entre le bon et le mauvais berger. La porte est la figure de l’ouverture, du passage, de la protection. Elle rend possible l’écoute mutuelle et réciproque qui nourrit le dialogue. Ce faisant, Jésus est présenté non seulement comme celui qui rend possible, ou non, l’accès au troupeau qu’il protège des menaces, mais aussi comme celui grâce auquel le troupeau a accès au pâturage, autrement dit, à « la vie en plénitude » (cf. Jn 10, 10) : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage » (Jn 10, 9).
Ce faisant, l’évangéliste présente Jésus comme celui qui endosse une mission que le prophète Ezéchiel attribue à Dieu : en remplacement des bergers qui agissent pour leur propre compte et non pour le compte des brebis, être le berger du peuple d’Israël en veillant sur elles, en les conduisant, les rassemblant, les nourrissant. Mais avec un déplacement de taille : à la différence d’Ez 34, ce n’est plus Dieu, mais Jésus qui est le berger. Or, dans ce déplacement, le berger n’est plus perçu avec les atours de la royauté du Messie attendu. Ici, la promesse de Dieu s’accomplit dans la vie de celui qui met sa vie en jeu pour sauver ses brebis des menaces incarnées, dans la tradition prophétique, par les dirigeants politiques et religieux qui mènent le peuple à la catastrophe et à la dispersion. Ici, les pharisiens du chapitre 9, prisonniers de la règle du Sabbat et heurtés par une guérison qui ne respecterait pas le repos prescrit ce jour-là.
Dans le contexte conflictuel où Jésus se trouve à la suite de cette guérison, la figure johannique du « bon pasteur » est opposée aux mercenaires qui privilégient leur intérêt et leur sécurité. Elle désigne celui qui prend des risques et donne sa vie pour ses brebis, selon une liberté et une disponibilité qui se nourrit, pour Jésus, d’une double relation de connaissance mutuelle : relation de proximité avec les brebis et relation d’amour et de réciprocité entre le Fils et le Père. Il y a donc un lien étroit entre la responsabilité exercée par le bon berger et l’offrande de soi dans l’exercice d’une responsabilité à la manière de Jésus, pour réduire en soi la part d’indisponibilité aux appels et aux attentes de celles et ceux qui cherchent comment accéder au pâturage qui les ferait vivre, mais dont ils sont privés, ou qui ont besoin de protection face aux mercenaires de toutes sortes.
En décembre 2014, dans un discours qui n’était pas passé inaperçu, le pape François avait pointé les 15 maladies de la Curie romaine. Ce discours avait aussi été reçu comme la liste des menaces ou dérives auxquelles tout responsable doit faire face, dans l’Église et dans la société. Autant dire que la tension entre les mercenaires et les bons pasteurs demeure d’actualité, qu’elle distingue peut-être entre les responsables, qu’elle habite sûrement tous ceux qui exercent des responsabilités. Puisse la lumière retrouvée par l’aveugle-né éclairer les raisons pour lesquelles ces responsables paient de leur personne pour remplir la mission reçue.
François Picart, prêtre de l’Oratoire