« Dilexit nos« , Il nous a aimés, fait référence à la quatrième encyclique du pape François, publiée le 24 octobre 2024, sur le Sacré-Cœur de Jésus. « Dilexi te« , Je t’ai aimé, est le titre de la première exhortation apostolique du pape Léon XIV, qui traite de l’amour des pauvres.
Bien que les deux titres soient en latin et qu’ils traitent de l’amour, ils diffèrent par leur auteur et leur sujet principal. Dilexi te de Léon XIV porte sur l’amour des pauvres, en reprenant un projet du pape François, et s’inscrit dans la lignée de son encyclique Dilexit nos qui traitait de l’amour du Christ, écrit Le Vatican News.

L’amour divin et le rôle de la dévotion au Sacré-Cœur dans le monde. « Il nous a aimés. » Romains (8.37)
Ce petit clin d’œil au lecteur doit nous faire dresser l’oreille. De même que François avait achevé d’écrire l’encyclique de Benoît XVI sur la foi, de même Léon XIV poursuit la réflexion de François sur le Cœur de Jésus : cette poursuite par le suivant de la réflexion du précédent semble être en passe de devenir une tradition, soulignant la continuité d’un pontificat à l’autre.
Le mot « continuité » a souvent été employé depuis la parution du premier grand texte du pape Léon, et à juste titre. Cela nous délivre pour un temps des interminables spéculations sur ce qu’est ou n’est pas le nouveau pape, sur ce qu’il fera ou ne fera pas. Pour l’heure, que fait-il ? Il prolonge l’enseignement de François « sur l’amour humain du Cœur de Jésus ».
Mais au fait, qu’est-ce donc qu’aime le Cœur de Jésus ? Il aime le pauvre. Pas seulement la pauvreté, mais le pauvre. Pas un pauvre idéalisé, mais le pauvre concret que je vois au coin de la rue et qui me fait changer de trottoir de peur de le rencontrer et de l’entendre me demander l’heure, histoire d’amorcer la conversation.
« La pauvreté, je connais, c’est un de mes trois vœux », dira le religieux. « La pauvreté, je connais, je n’ai aucun salaire », dira un chercheur d’emploi. « La pauvreté, je connais, c’est le Secours Catholique qui s’en occupe », dira le paroissien lambda… Et le théologien de service, qui ne veut pas être en reste, prendra la parole à son tour : « la pauvreté, je connais, c’est la première Béatitude ». La pauvreté oui, mais le pauvre ? Ah oui, les pauvres, c’était l’obsession de François ! Son successeur s’inscrira-t-il, demandent certains, dans cette « rupture » ? Eh bien oui, mais précisément en montrant que François lui-même ne s’inscrivait pas en rupture, mais en rigoureuse continuité. D’où la galerie de portraits que le pape Léon entreprend de dérouler sous nos yeux.
Il y a François d’Assise et Claire bien sûr, avec saint Dominique, mais déjà Moïse prenant conscience devant le Buisson que Dieu, qui semblait sourd aux cris de son peuple, connaissait ses angoisses ; Amos et Isaïe dénonçant les injustices ; l’apôtre Paul organisant les secours apportés aux communautés dans le besoin ; le diacre Laurent montrant dans les pauvres « les trésors de l’Église » ; Ambroise, Ignace d’Antioche et Polycarpe, Justin, Jean Chrysostome, et bien sûr Augustin. Jean de Dieu et Camille de Lellis prenant soin des malades jusqu’à l’épuisement, Vincent de Paul et ses Filles de la charité, les moines Basile le Grand et Benoît de Nursie et avec eux la grande tradition monastique d’accueil et de secours ; les Trinitaires libérant les captifs et luttant aujourd’hui contre les formes récurrentes d’esclavage – exploitation sexuelle ou travail forcé par exemple.
Et les éducateurs et éducatrices, innombrables, au service de la dignité humaine et du développement intégral des personnes ; et ceux qui se donnent au service des migrants, ces pauvres parmi les pauvres, coupés de leurs racines – accueillant, protégeant, promouvant, intégrant… Les figures les plus contemporaines, comme celles de Charles de Foucauld, de Teresa de Calcutta, de Sœur Emmanuelle ou de Dulce des pauvres, viennent compléter sans la clore cette saisissante galerie de portraits. Qui donc dira que le souci des pauvres est en rupture avec l’histoire de l’Église ?
Mais l’essentiel n’est pas dans une énumération, si impressionnante soit-elle. L’essentiel est dans le regard que le pape nous invite à porter : « Les plus pauvres ne sont pas seulement objet de notre compassion, mais des maîtres d’Évangile. Il ne s’agit pas de « leur apporter Dieu », mais de le rencontrer en eux. Tous ces exemples nous enseignent que servir les pauvres n’est pas un geste à faire du haut vers le bas, mais une rencontre entre égaux où le Christ est révélé et adoré » (n° 79).

L’amour des pauvres, l’option préférentielle de l’Église pour les pauvres. « Je t’ai aimé » (Ap 3, 9)
Nous croyons en un Dieu qui s’est fait pauvre parmi les pauvres pour nous enrichir de sa pauvreté. Par conséquent « l’Église, si elle veut être celle du Christ, doit être l’Église des Béatitudes, l’Église qui fait place aux petits et qui marche pauvre parmi les pauvres » (n° 21).
Si pour son malheur l’Église mettait un seul instant entre parenthèses la place royale des pauvres, elle ne pourrait plus se comprendre elle-même. L’enjeu est donc pour elle, comme on l’a souligné, « de se tenir à la hauteur de sa propre histoire » parce que cette histoire l’oblige : « L’amour des pauvres est la garantie évangélique d’une Église fidèle au cœur de Dieu » (n° 103). C’est pourquoi il est essentiel – c’est le titre du quatrième chapitre – de faire en sorte que cette histoire continue. Et de fait elle continue, dans le magistère des 150 dernières années en passant par le Concile Vatican II et jusqu’à nos jours.
Les papes eux-mêmes désirent placer leur ministère sous le signe de la pauvreté. Léon XIV nous fait découvrir à ce propos une parole peu connue de Paul VI : « Le Pauvre et Pierre peuvent coïncider, ils peuvent être la même personne, revêtue d’une double représentation : celle de la Pauvreté et celle de l’Autorité » (n° 85). Voilà une parole sur laquelle tous ceux qui sont revêtus d’autorité gagneront sans nul doute à méditer !
Mais il ne s’agit pas seulement d’évoquer des modèles : il faut aussi dénoncer sans complaisance les discours fallacieux qui, sous prétexte de proposer des explications, voire des solutions, rassurent à bon compte et confortent ce que Jean-Paul II appelait déjà les « structures de péché » : par exemple, « les idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière » (n° 92). En positif, il faut oser créer « des lieux, des espaces, des maisons, des villes où vivent et marchent les pauvres » (n° 96) – bref, considérer enfin les pauvres comme des sujets (n° 100).
Attention donc aux discours lénifiants que nous nous tenons à nous-mêmes : « Je me demande souvent pourquoi, malgré cette clarté des Écritures à propos des pauvres, beaucoup continuent à penser qu’ils peuvent tranquillement les exclure de leurs préoccupations » (n° 23).
Attention aux grandes tirades spirituelles qui promeuvent une religiosité du type « moi et mon Dieu » : « On constate parfois dans certains mouvements ou groupes chrétiens un manque, voire une absence d’engagement pour le bien commun de la société et, en particulier, pour la défense et la promotion des plus faibles et des plus défavorisés. Il convient de rappeler que la religion, et en particulier la religion chrétienne, ne peut se limiter à la sphère privée » (n° 112). On ne saurait être plus clair !
Voilà l’Église dont le monde a besoin, et comme nous constituons l’Église, voilà ce que nous avons à être : « Une Église qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connaît pas d’ennemis à combattre, mais seulement des hommes et des femmes à aimer » (n° 122). Le travail auquel il s’agit de s’atteler maintenant coule de source : c’est un travail de conversion.
Merci à François, merci à Léon. Les différents papes ont de la suite dans les idées : avec eux « plus ça change, plus c’est la même chose » ! Cette remarque, qui est souvent de nature à nous exaspérer – ou à nous désespérer – quand nous observons les joutes des politiques, est la source de notre plus grande joie et espérance quand nous considérons la logique têtue de l’enseignement des papes que Dieu donne à son Église. Qu’Il soit béni !
