Jésus traverse la Samarie, il est midi, il a soif, ses disciples sont partis faire des courses. Arrive une femme du pays. Il lui demande à boire, car il n’a rien pour puiser.
Elle ne sait comment le prendre, car les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains qu’ils considèrent comme des impurs. Leur demander de la nourriture c’est ainsi se souiller. Assez vite, Jésus passe de l’eau du puits à une mystérieuse « eau vive », car l’eau est symbole de la vie dans ce pays de déserts.
Il y a dans l’être humain une soif bien plus profonde que la soif physique. La femme ne comprend sans doute pas tout mais elle est preneuse… et très vite, la conversation glisse sur les besoins fondamentaux de cette femme. Elle a eu cinq maris et on peut imaginer une vie difficile. Quel est cet homme qui semble la connaître en profondeur et qui lui dit le côté insatisfaisant de sa situation ? Sûrement un homme de Dieu !
Mais voilà, la religion est justement ce qui divise les Samaritains qui ont leur temple sur le mont Garizim et des Juifs « orthodoxes » qui adorent traditionnellement à Jérusalem.
Première surprise de taille pour cette femme : Jésus semble dépasser cet obstacle pour une relation à Dieu qui ne dépend pas d’abord du temple où l’on adore mais une relation « en esprit et en vérité ».
On ne sait trop ce que la femme a compris mais elle est conquise par cette perspective et elle va présenter cet homme de Dieu à tous les gens de son village qui viennent écouter Jésus et déclarent : « Maintenant que nous l’avons entendu lui-même, nous savons qu’il est un sauveur pour le monde ».
Quand les disciples reviennent des courses, ils sont étonnés, comme la femme l’a été avant eux. Premier étonnement : il parle, seul, à une femme.
Deuxième étonnement, plus choquant : lui, un Juif, se souille en parlant à une Samaritaine. En lui demandant de l’eau puisée avec sa cruche, il se souille lui-même : le partage de la nourriture avec une impure le rend impur à son tour.
Troisième scandale : lui, un Juif religieux parle religion avec cette hérétique qui n’appartient pas à la vraie religion, au vrai peuple fidèle, celui qui adore à Jérusalem.
Aux disciples qui s’étonnent que Jésus parle à une femme, il fait comprendre que sa parole s’adresse à tous. Saint Paul dira plus tard « Il n’y a plus de juif ou de païen, il n’y a plus d’homme ou de femme, il n’y a plus d’esclave ou d’homme libre… en Christ ».
Ce qui est premier, c’est la soif et l’eau. Non seulement la soif physiologique et le besoin de puiser quand on n’a pas de cruche, mais surtout la soif de vie, de vraie vie, d’une nourriture et d’une boisson qui désaltèrent le cœur de l’homme. Jésus rejoint sans doute ainsi la soif de cette femme, soif d’être reconnue, soif d’être aimée…
L’évangéliste Saint Jean nous raconte cet épisode dès le début de son évangile. Pour lui, il s’agit là de bien faire comprendre qui est Jésus. Il l’exprime en conclusion : Jésus est là pour « accomplir l’œuvre de Dieu ». Au-delà du clivage entre les différents temples, l’œuvre de Dieu c’est de « croire en sa parole », la Parole de Jésus qui est Parole de Dieu.
Cette soif d’infini s’est exprimée de tous temps dans sa forme religieuse. Le temple n’est pas seulement un bâtiment mais le lieu d’une présence et d’une rencontre. Or voilà que Jésus relativise le Temple au profit de Sa Parole. Dès lors, les frontières éclatent. Le Temple risque d’enfermer ; la Parole, elle, a une portée universelle.
Le dernier mot prononcé par les Samaritains les ouvre à un infiniment plus grand que leur groupe religieux : « Nous savons maintenant qu’il est vraiment le Sauveur du Monde ».
La Samaritaine a fait une rencontre, au sens le plus profond de ce mot, une rencontre qui transforme parce qu’elle ouvre à l’autre et à l’Autre.