Saint Charles de Foucauld, que l’Église fête le 1er décembre, était l’homme d’un siècle de confrontation aiguë entre la raison et la foi. Comme saint Augustin avant lui, il cherchait la vérité, et c’est en ne vivant que pour Dieu, qu’il s’est donné totalement aux hommes.
Les chrétiens sont des veilleurs de Dieu. Mais « qu’avez-vous à regarder ainsi le ciel ? », pourraient questionner les hommes d’aujourd’hui en s’adressant à eux. Autrement dit, que vaut votre espérance ? Qu’attendez-vous du ciel ? Ne voyez-vous pas les besoins criants du monde aujourd’hui ? Ne voyez-vous pas les guerres, les épidémies, la misère du monde ? Votre espérance ne vous fait-elle pas fuir le monde ? N’est-ce pas en l’homme qu’il faut mettre son espoir, plutôt qu’en un Dieu qui reste au ciel ? Le salut peut-il venir d’un Dieu qui semble absent ?
Ils cherchaient la vérité
C’est en ces termes, qu’au temps de la conversion de Charles de Foucauld, certains courants de pensées ont développé, selon l’expression d’Henri de Lubac, le « drame de l’humanisme athée », faisant la promotion du salut de l’homme par l’homme. La religion ne serait que l’opium du peuple, le ressentiment des faibles, l’hypothétique consolation future des affligés ; la foi ? un obscurantisme contre les lumières de la raison ; les œuvres de charité ? la menue monnaie d’une conscience coupable. Saint Charles de Foucauld était un homme de ce siècle de confrontation aiguë entre la raison et la foi. Officier, explorateur, savant, géographe, il ne se donnait pas le temps de regarder ainsi le ciel. Mais plus il cherchait à combler sa quête de bonheur dans les plaisirs que lui offrait le monde, plus son cœur étouffait, pincé par une tristesse spirituelle profonde qui le laissait seul. Il cherchait, mais les lectures philosophiques n’arrivaient pas à combler ce cœur qui désirait connaître et aimer.
Tous les deux cherchaient la vérité, et ne la trouvant pas, tombaient dans la torpeur et la tristesse d’enfants prodigues où les menait une vie de désordre.
Ce que Charles a vécu, un autre l’a éprouvé lui aussi : saint Augustin. La Providence a voulu que le premier reçoive la grâce de la conversion dans l’église qui porte le nom du second. Quelle ressemblance entre ces deux hommes, l’un représenté avec le Cœur brûlant du Christ dans la main, l’autre avec le Sacré Cœur en effigie cousu sur son habit religieux. Tous les deux cherchaient la vérité, et ne la trouvant pas, tombaient dans la torpeur et la tristesse d’enfants prodigues où les menait une vie de désordre. « Tu nous a fait pour toi, Seigneur, priait Augustin, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne repose en toi. » Et Charles confiait : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui. »
Plus on aime Dieu, plus on aime les hommes
Ne vivre que pour Dieu, était-ce pour Charles ou pour Augustin, fuir les hommes pour rester à regarder tranquillement le ciel ? Non, au contraire ! Plus leur regard intérieur était tourné vers Dieu, plus leur cœur était touché par la misère du monde. C’est cela la vertu d’espérance, comme le souligne Bernanos : « L’espérance est une vertu, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté ! » Loin de nous éloigner des hommes, elle nous en rapproche. « Plus on aime Dieu, plus on aime les hommes » : le contraire de cette affirmation de Charles de Foucauld n’est-il pas tout aussi dramatiquement vrai : « Moins on aime Dieu dans ce monde, moins on aime les hommes » car on perd de vue sa dignité d’être créé à l’image de Dieu ? Moins on a aimé Dieu, au XXe siècle et en ce début du XXIe siècle, plus l’homme est devenu un loup pour l’homme, plus la guerre de l’homme contre l’homme devient violente, et appelle la manifestation de la Divine Miséricorde, comme seule limite au mal, selon la formule de saint Jean Paul II.
Parce que le Seigneur s’est abaissé, et n’a fait que descendre à la dernière place, parce qu’il a vaincu la mort ; parce qu’il est dans la Gloire du Père ; parce que nous sommes faits pour la même gloire, pour une vie d’amour et de joie en Sa présence, qui ne finira jamais, ce regard intérieur tourné vers le ciel donne une lumière sur notre activité missionnaire et un sens à tous nos engagements sociaux, au service de la vie, de la dignité de l’homme dans sa fragilité, dans la famille, dans son travail !
L’intelligence de l’amour
C’est l’amour de ce Dieu caché dans l’eucharistie, pauvre parmi les pauvres, qui a saisi le cœur de saint Charles de Foucauld, et le poussait à racheter les esclaves, à tisser des liens avec les chefs touaregs, à accueillir tout homme dans une fraternité universelle. C’est parce qu’il savait que le Christ reviendrait dans la gloire pour chacun de nous, et surtout pour ces plus pauvres, qu’il s’est dépensé, sans compter, dans un abandon toujours plus total : « Pourvu que ta volonté se fasse en moi, je ne désire rien d’autre mon Dieu. » Charles n’a pas fait mentir la parole de son directeur spirituel, l’abbé Huvelin : « Quand on voit la bonté d’un tel serviteur, on doit se demander : que doit être celle du Maître ? »
Amour de Dieu, amour du prochain. Non, notre religion n’est pas l’opium du peuple, ou un obscurantisme contre les lumières de la raison. Elle est cette intelligence au service de l’amour et de la dignité de tout homme, comme l’a manifestée, de façon si magnifique, la vie de ces deux grands saints qui honorent notre Église : saint Augustin et saint Charles de Foucauld. Tous les deux ont crié l’Évangile, par toute leur vie.