«Le vrai temps réel n’est-il pas celui du cheminement plutôt que celui de l’immédiateté? Toute maturation ne requiert-elle pas une certaine forme de lenteur?» Etienne Klein
Le temps est un des grands sujets de notre temps! Le sentiment d’une frénésie croissante de nos modes de vie pose à chacun des questions: comment mieux habiter le temps qui nous est donné? comment vivre pleinement le temps présent? Voulons-nous vivre si vite? comment sortir du tout «tout de suite»? Comment faire le tri entre toutes les propositions technologiques? Pourquoi faut-il toujours faire plus, plus vite: manger en lisant ses mails, conduire en téléphonant, tout dire en bref sous forme de publicité…
L’innovation va si vite qu’elle cultive notre impatience et qu’on oublie de prendre le temps de l’interroger. On pourrait alors confondre le faisable avec le bien et le nouveau avec le progrès, car il nous manque «l’endurance» nécessaire pour approcher le vrai.
Mais comment comprendre le temps qui nous échappe à chaque instant? Saint Augustin nous éclaire dans ses confessions: « peut-être on pourrait dire avec vérité, qu’il y a trois temps, le présent des choses passées, le présent des choses présentes, et le présent des choses futures. Car je trouve dans l’esprit ces trois choses que je ne trouve nulle part ailleurs: le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’attention; le présent du futur, c’est l’attente. »
Toujours en retard ?
La démesure du projet moderne a de quoi nous arracher le cri du héros de Shakespeare dans Hamlet: «Time is out of its joints », le temps est hors de ses gonds. Cette accélération globale a cependant une conséquence très paradoxale: elle nous ralentit! Par rapport au rythme que nous nous imposons ainsi qu’aux choses naturelles, nous découvrons que nous sommes toujours en retard. La frénésie de l’horaire induit une conception du temps comme de quelque chose qui nous échappe perpétuellement.
Nous vivons incessamment en sursis: nous courons après le temps, et l’angoisse nous menace toujours de ne jamais pouvoir le rattraper. Il en va tout autrement du temps «naturel»: sa durée est solidaire de l’éclosion d’un mystère dont le dynamisme interne est inséparable d’un temps finalisé.
Prenons le temps de savourer.
Rythmes naturels
Si l’artificialisme technique a fini par nous faire perdre le tempo, c’est qu’il ne se règle pas sur les processus naturels, mais bien plutôt qu’il veut à tout prix que les mouvements naturels se calquent sur lui. C’est pourquoi la modernité a perdu la mesure: elle ne sait plus sur quoi régler sa course; du coup la course s’emballe et n’a de cesse d’accélérer, un peu comme un chauffeur qui ne regarderait jamais en dehors de l’habitacle de sa voiture finirait par accélérer toujours sans s’en apercevoir le moins du monde.
La solution de ce dramatique problème consiste à considérer d’un regard neuf les rythmes naturels et à marcher à leur cadence, ou, pour le dire avec le poète, à nous «hâter lentement», en prenant le temps de contempler les êtres pour nous modeler sur eux. Pratiquement, cela implique par exemple de laisser notre voiture au garage pour redécouvrir l’excellence
de la marche.
Sanctifier le temps
Après avoir béni l’homme et la femme dans leur travail de croissance, Dieu bénit le sabbat, signe du temps (Gn 2,3) qu’Il vient habiter pour accompagner l’humanité dans sa marche vers sa plénitude. Au lieu de «sacraliser» ou de diviniser le temps comme le font les païens, Israël est intimé à «sanctifier» le jour du sabbat, c’est-à-dire à recevoir comme un don la durée de vie qui lui est allouée en rapportant les six jours de la semaine et de son labeur à l’œuvre divine.
Et au terme de cette durée limitée, il rejoindra Dieu qui d’abord est venu à l’homme, et le rencontrera dans la douceur de sa miséricorde. La finale de la Bible y fait allusion: l’Apocalypse (= révélation) de saint Jean marque la consommation du temps par la grande rencontre de l’homme et de Dieu dans la vie éternelle: «Viens, Seigneur Jésus!» (Ap 22,20).
Ainsi le temps humain est destiné à s’accomplir dans le mode d’exister de Dieu lui-même: «Nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est» écrit encore saint Jean (1 Jn 3,2).