Présence contemplative au cœur du monde
Rien n’est bon comme le détachement de soi-même, rien n’est déplorable comme la paresse spirituelle, j’en sais quelque chose---------Offrez-vous tous les matins et ne vous reprenez pas dans la journée---P. François Picard///////Il y a toujours à supporter, et tout le monde fait supporter. Il faut savoir se supporter mutuellement avec beaucoup de bonté, de patience, mais en même temps d'austérité de langage, avec l'affection des personnes données à Dieu---------- Je voudrai que pour nous prière et acte d’amour fussent synonymes----Mère Isabelle

La consolation est un des plus beaux visages de l’amour

Auteur de nombreux bestsellers, le psychiatre Christophe André publie « Consolations – Celles qu’on reçoit et celles qu’on donne » et nous apprend l’art de consoler. Un livre lumineux et consolateur. Entretien.

Aleteia

Frappé par une maladie grave, il y a six ans, le célèbre psychiatre Christophe André, se rend compte de son immense besoin de consolation. « Quand j’étais trimballé sur le brancard entre différents services hospitaliers, angoissé et fragile, un petit geste comme poser la main sur l’épaule ou un petit mot gentil pour me dire que ça allait bien se passer, voilà ce qui me faisait beaucoup de bien », confie-t-il. Il découvre alors la puissance bénéfique de la consolation. Celle qui permet de tenir face à l’hostilité du réel quand elle se manifeste, et de ne pas sombrer dans le chagrin ou le désespoir. Celle qui est aussi un « acte de présence aimante qui remet en lien avec le monde ». Rencontre. 

Aleteia : Vous commencez votre livre par un constat personnel : vous dites que vous avez été longtemps aveugle à la consolation. Vous vous contentiez « de soigner, d’encourager, de réconforter, mais pas de consoler… Et c’est en tombant gravement malade que vous avez ouvert les yeux sur la consolation…


Christophe André : Oui, il y a six ans, j’ai eu un cancer du poumon. Quand on me l’a annoncé, tout s’est écroulé en un instant : je suis passé alors du monde des bien portants au monde à celui de ceux qui sont différents et fragiles. J’étais triste de me dire que mon existence allait être plus courte que prévu. C’est alors que je me suis rendu compte que j’avais besoin de consolation. 

Finalement, le bienfait de la consolation, vous l’avez-vécu dans votre propre corps malade…
À chaque fois qu’un soignant, me voyant en détresse, faisait un petit geste pour me consoler, je sentais immédiatement le bienfait biologique de la consolation. Je me suis dit alors que si on était juste soigné par des robots, il manquerait quelque chose, même s’ils faisaient parfaitement leur travail. Chaque fois qu’on offre un geste de consolation ou de réconfort, on se sent mieux, et chaque fois que ce n’est pas le cas, on est moins bien. Je l’ai senti physiquement dans mon corps. 

Guéri et de retour chez vous après vos hospitalisations, vous avez retrouvé un mot dédicacé d’un de vos patients. Il vous remercie pour votre patience et la grande confiance que vous lui manifestiez lors de vos séances. Vous l’aviez consolé sans le savoir ?
C’était un de mes anciens patients de Toulouse. Il était toxicomane et bipolaire. J’avais du mal à le soigner, mais il revenait toujours en consultation, il ne voulait pas voir un autre médecin. En me rappelant nos séances, je me suis rendu compte que je n’ai pas réussi à le guérir, mais j’arrivais à le consoler presque à chaque fois… et à mon insu !

J’ai eu envie d’explorer la consolation car nous la côtoyons constamment. Un jour ou l’autre, nous avons tous besoin d’être consolés.

Bien sûr, en tant que médecin j’étais toujours gentil, bienveillant, chaleureux pour mes patients, mais je réfléchissais surtout à l’aspect technique des soins. Je voulais que mon patient guérisse. Je n’avais pas compris à l’époque qu’il y avait, à côté de la science et de la bienveillance, une autre expérience bénéfique : celle de la consolation. Ma maladie m’a permis de découvrir sa puissance. Et j’ai eu envie de l’explorer, car nous la côtoyons constamment. Un jour ou l’autre, nous avons tous besoin d’être consolés. 

Comment bien consoler quelqu’un ? 
Consoler, c’est souhaiter soulager une peine sans pouvoir modifier le réel. La consolation n’est pas une recherche de solutions, mais elle permet d’alléger le sentiment de souffrance. Elle fait du bien. Elle est une aide pour l’intérieur et non pas pour l’extérieur. Ce qui veut dire qu’au-delà de ses dimensions concrètes, celles des paroles et des gestes, elle est surtout une démarche sans résultat visible. À ce titre, on peut dire qu’elle est immatérielle et spirituelle. La consolation commence souvent par une présence, une intention, par des gestes et des mots très simples.

Pourquoi est-ce parfois si difficile de consoler quelqu’un ? 
Quand j’écrivais mon livre et que j’interrogeais parfois ceux que je rencontrais à ce sujet, beaucoup de personnes m’ont dit qu’elles étaient mal à l’aise avec la consolation. Face à l’autre, qu’il soit malade ou endeuillé, on a en effet peur de le blesser, de commettre une maladresse qui aggraverait encore plus son chagrin. On peut même rester paralysé par la souffrance, ou être submergé, comme souvent chez moi, par nos propres émotions. Dès qu’elles sont trop fortes, elles perturbent. S’il y a une seule règle d’or, c’est de prendre son temps, y aller doucement, se contenter d’abord de petites choses : dire juste : « je suis là », « je pense à toi », ou toucher le bras, prendre la main… Il n’y a pas très longtemps, une amie a vécu un drame inconsolable – la perte de son enfant. Je ne savais pas quoi faire et ni quoi lui dire. Je lui ai écrit juste un SMS : « Je pense à toi, je t’embrasse. » Elle m’a confié, quelque temps plus tard, que ces simples mots lui avaient été bénéfiques. Mon texto semblait dérisoire par rapport à son immense peine, pourtant, il l’a un peu consolé. 

Vous soulignez qu’il faut veiller à ne pas s’imposer dans la démarche de consolation. Pourquoi ? 
Il est important de ne pas être à contre temps par rapport à la souffrance de l’autre. Souvent, on l’oublie, mais la consolation est en soi une intrusion. Imaginez un instant la personne enfermée dans son chagrin : même si c’est un enfermement qui lui fait du mal, elle est cadenassée dans son chagrin. Du coup, on arrive, on essaie de toquer à sa porte. Puis on rentre, on la voit dans une pièce noire avec des rideaux fermés et la tête sous l’oreiller. Le réflexe du consolateur serait alors d’ouvrir les fenêtres, de faire entrer la lumière, d’enlever l’oreiller et d’encourager la personne à se lever. Mais finalement, tous ces mouvements peuvent la déranger. Alors, avant de faire quelque chose, il est essentiel de demander à la personne la permission de s’approcher d’elle et de rester à ses côtés. La consolation n’est pas une réparation, mais un soutien que l’on propose. Il ne s’agit pas d’être efficace et de trouver des solutions aux difficultés de l’autre.

Dans l’art de consoler, il faut la tendresse de celui qui console, et l’acceptation de celui qui est consolé. 

Consoler quelqu’un, c’est d’abord rester humble, car on ne connaît pas l’étendue exacte des dégâts intérieurs de la personne qui souffre. Dans cette alchimie délicate, il faudrait presque arriver sans l’intention de consoler (« Tiens, tu vas voir, je vais te consoler ! ») et se dire : je vais m’approcher tout doucement, essayer de comprendre ce dont la personne a besoin, faire des choses très simples en disant : « Je suis là », « Est-ce que je peux t’aider ? ». Ou repartir, si l’autre ne donne pas pour le moment la permission de l’accompagner. Encore une fois, l’humilité, la simplicité et la douceur sont les qualités de l’art de consoler, dans lequel il faut la tendresse de celui qui console, et l’acceptation de celui qui est consolé. 

Y-a-t-il a des situations inconsolables ? 
Ceux qui sont toujours inconsolables ce sont les parents qui ont perdu un enfant. Quand je dialogue avec eux, tous me disent qu’il y a une part d’eux-mêmes qui est morte ce jour-là, et qui restera morte pour toujours. Ils ne seront jamais consolables. Et si cette part d’eux-mêmes restera blessée à jamais, ce que j’essaie de faire, c’est de les remettre en lien avec le monde. Ces parents ont souvent d’autres enfants, donc ils doivent vivre pour eux. Ils ont aussi à savoir bien vivre le souvenir de l’enfant disparu. C’est d’ailleurs souvent une grande motivation pour eux : garder le souvenir non de la mort de l’enfant, mais celui de sa vie. C’est très consolateur. Seulement, cela met beaucoup de temps à émerger dans l’esprit des parents en deuil. 

Vous dites que la foi console, et que dans les moments difficiles, vous passez de la méditation à la prière. Vous écrivez : « Quand je prie, j’ai le sentiment étrange que je téléphone à Dieu »… 
La méditation est formidable. C’est un outil de pacification extraordinaire, mais il y a des moments où cela ne suffit pas, où on sent qu’il persiste quand même une détresse, un solitude ou un chagrin, des sentiments qui vont au-delà de ce que nous sommes capables d’assumer. Alors, je quitte la méditation et je prie.

Moi, dont la foi est oscillante, j’observe qu’à chaque fois que je me remets à Dieu, je me sens mieux, apaisé. C’est un Dieu consolateur qui ne peut pas toujours nous empêcher de souffrir, mais il est toujours à nos côtés. 

Comme la plupart des gens, Dieu ne s’est jamais adressé directement à moi. Mais j’ai souvent des petites intuitions que je ne suis pas tout seul. J’aime beaucoup cette phrase de Paul Claudel « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il est venu la remplir de sa présence ». Oui, il y a effectivement quelque chose qui se passe quand je prie. Comme si, au bout du fil, j’entendais de très loin quelqu’un qui respire et qui m’écoute en silence. Il n’y a pas de paroles. Il y a juste cette présence. Moi, dont la foi est oscillante, j’observe qu’à chaque fois que je me remets à Lui, je me sens mieux, apaisé. C’est un Dieu consolateur qui ne peut pas toujours nous empêcher de souffrir, mais il est toujours à nos côtés.