La fête de Pâques célèbre un passage, une traversée impossible devenue possible. Par la main puissante de Dieu, le peuple franchit la Mer Rouge, passant de l’esclavage à la liberté. Plus tard, pendant la commémoration de cette Pâque juive, Jésus est passé de ce monde au Père en accomplissant une traversée plus impossible encore vers la Vie définitive. A travers sa vie livrée par amour, l’épreuve de sa passion, sa mort et sa Résurrection, il a ouvert définitivement pour chacun de nous l’ultime passage vers la vie en Dieu.
Nous sommes faits pour aimer, pour vivre d’une vie que rien, pas même la mort, n’arrête. Là où nous en témoignons le mieux, c’est lorsque nous manifestons notre foi en traversant les passages qui jalonnent nos vies comme autant de Pâques. Vécue en fidélité à l’appel de Dieu, dans la joie d’aimer mais aussi à travers des crises, des renoncements ou des échecs, cette traversée persévérante nous parait parfois bien difficile ou impossible. Il s’agit pourtant d’entrer dans chaque nouvelle étape avec calme et confiance parce que c’est le Seigneur qui nous y conduit.
Ce voyage passe par la traversée du désert. Que ce soit pendant 40 ans pour les hébreux, pendant 40 jours pour Jésus, pour tout chrétien à sa suite pendant le carême, pendant nos temps hebdomadaires de désert ou, bien plus encore, à travers les réalités de la vie de chacun, le désert mêle grande beauté et aridité. S’y vivent silence bienfaisant et combat des pensées ; intimité et solitude ; rencontre ou silence de Dieu ; solidarités ou égoïsmes ; retour à l’essentiel et dépouillement… S’y rencontre la soif, l’épreuve et la tentation, la chute, le danger, la mort… mais aussi et plus encore, la force agissante de Dieu ainsi que le triomphe de la confiance et de l’humilité. Tout désert, quel qu’il soit, est une réalité pascale, lieu d’essentiel et de purification, à vivre et traverser avec courage, décentrés de nous-mêmes, dans l’espérance et la foi persévérante, confiante et aimante. Ne l’oublions pas aux heures d’épreuve à porter, de crise à traverser, de choix à faire ou d’accueil de nouvelles étapes de la mission et de la vie. Pensons-y aussi dans la gestion de notre temps et nos manières d’habiter les temps de « désert » et de retrait prévus dans nos programmes. Demandons-nous ce que Dieu lui-même en attend et regardons avec lui notre vie en essayant objectivement de voir ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas.
Pendant le désert et passage ultime de la Semaine sainte, nous avons contemplé Jésus nous aimer jusqu’au bout, se donner, pâtir et souffrir, porter et tout connaître de nos fardeaux excepté le péché, assumer avec nous notre mort pour en être victorieux avec nous. N’hésitons pas à revenir souvent à cette contemplation et en apprendre la patience aimante et persévérante ainsi que le pardon et la remise de soi à Dieu jusque dans les souffrances, les peurs, les doutes, les trahisons… auxquels seul l’amour peut donner sens. Ne capitulons pas face aux crises. Souvenons-nous qu’elles sont toujours une opportunité pour grandir, la perspective d’un passage, un appel à vivre une nouvelle maturité et à ouvrir avec réalisme de nouveaux chemins de sagesse dans le don de soi. En ce sens, elles sont une bénédiction à vivre cachés en Dieu afin de recevoir grâce et force pour imiter son amour inconditionnel et trouver en lui la victoire pascale.
Beaucoup d’événements de nos vies peuvent être éclairés de cette lumière de Pâques. Certes, elle n’écarte pas les maux et difficultés de la vie, ni les renoncements auxquels consentir, mais elle nous fait regarder et espérer par-delà. Précisément là où il nous semblait impossible d’aller avec nos seules forces. Là où l’Amour appelle ; là où une parole et un geste de réconciliation deviennent possibles ; là où la paix vient parfois nous surprendre même dans la douleur ; là où l’espérance renaît et où des solidarités multiples trouvent à s’exprimer et s’échanger…
S’ouvre alors un temps pascal. Ponctué de visites du Ressuscité, il aboutit à la Pentecôte et porte de nouveaux fruits par la grâce du Saint Esprit.
Au matin de Pâques, nous voyons les femmes courir au tombeau. J’aime cette course portée par l’amour et le service. Est-ce la nôtre ? « Christ est ressuscité » sont des mots que nous connaissons mais lorsqu’ils nous descendent au cœur, nous font-ils bouger et courir ? Il ne s’agit pas seulement d’un message mais du témoignage d’une rencontre à communiquer, une rencontre qui fait bouger, transforme, fait faire demi-tour ou plonger à l’eau lorsque son évidence s’impose. C’est ce qui se passe diversement pour les femmes, les apôtres, les disciples dont l’évangile raconte la rencontre du Ressuscité en montrant qu’elle change tout puisque la vie est définitivement plus forte que l’épreuve et la mort.
Cette rencontre ouvre aussi à une amitié à entretenir. La joie de Pâques ne pourrait-elle nous conduire à rendre plus souvent visite au Ressuscité ? Elle devrait nous réveiller pour mieux vivre les temps de prière et y ajouter de brefs instants de ‘visite’ intérieure spontanée et gratuite : pensée aimante de la présence du Christ, prière jaculatoire, travail en silence habité, minutes inoccupées passées avec lui plutôt qu’en distractions… N’oublions pas que sans la prière, la foi s’éteint et le témoignage de nos vies disparaît peu à peu.
C’est aussi la prière qui ouvre la porte à l’Esprit Saint capable de faire de nous d’humbles témoins de Dieu gardant au cœur sa présence comme un « feu secret ». Implorons quotidiennement sa venue car sans lui, l’espérance s’éteint, la tristesse l’emporte sur la joie, l’habitude remplace l’amour, le service se transforme en esclavage… Viens Esprit-Saint, sois notre force et notre joie !
Joyeux temps pascal et belle fête de Pentecôte à chacun.
Sœur Anne