En ce dernier dimanche de l’année liturgique, l’Église
nous donne à méditer un extrait de la passion de Jésus:
l’entretien entre Pilate et Jésus (Jn 18, 33b-37). Comme
souvent dans l’évangile selon saint Jean, le dialogue se
situe à des niveaux différents d’interprétation. Pilate, le
païen, en désignant Jésus comme Roi des Juifs, le
reconnaît malgré lui comme le Messie universel.
Le Roi de l’univers
En ce dernier dimanche de l’année liturgique, l’Église nous donne à méditer un extrait de la passion de Jésus: l’entretien entre Pilate et Jésus (Jn 18, 33b-37). Comme souvent dans l’évangile selon saint Jean, le dialogue se situe à des niveaux différents d’interprétation. Pilate, le païen, en désignant Jésus comme Roi des Juifs, le reconnaît malgré lui comme le Messie universel.
«Es-tu le roi…?»
Avant cela, par deux fois dans l’évangile de Jean, Jésus est désigné comme roi. Par Nathanaël: «Tu es le Fils de Dieu, le Roi d’Israël» (1,49). A la suite de quoi Jésus prophétise sur le Fils de l’homme et la vision d’une communication entre le ciel et la terre. Ensuite, après la multiplication des pains, les foules veulent faire de Jésus leur roi. Mais celui-ci repousse cette prétention (6,15).
Lors de la Passion, c’est Pilate, le Romain, qui repose la question de la royauté de Jésus: «Es-tu le Roi des Juifs?» Ce thème va alors progresser de manière étonnante durant la Passion. Telle est l’ironie johannique. Après ce premier interrogatoire, Pilate s’adresse aux autorités juives: «Voulez-vous que je vous relâche le Roi des Juifs?» Pilate adopte cette dénomination et va même l’imposer, comme la suite va le montrer. Son rôle est donc important. C’est ainsi que Juifs et Nations sont appelés à reconnaître ensemble Jésus comme Roi d’Israël, c’est-à-dire comme Messie universel.
Les soldats romains tressent à dessein une couronne d’épines et la mettent sur la tête de Jésus. Ils se moquent de lui: «Salut, Roi des Juifs!» Ils le tournent en dérision alors que – comble d’ironie – Jésus vient d’affirmer qu’il est venu rendre témoignage à la vérité! Pilate conduit Jésus à l’extérieur et le présente aux Juifs en leur disant qu’il ne peut retenir aucun grief contre Jésus:«Voici l’homme!», leur dit-il. Mais les autorités juives répliquent par l’accusation suivante: «Il s’est fait Fils de Dieu». Pilate, quelque peu décontenancé, s’en va alors demander à Jésus: «D’où es-tu, toi?» Plus tôt, il lui avait demandé ce qu’il avait fait. Jésus lui avait parlé de sa royauté qui n’est pas de ce monde. Ici, Jésus ne répond rien. Pilate veut imposer son autorité mais Jésus lui rétorque, non sans ambiguïté, qu’il n’a aucune autorité sinon celle reçue d’en-haut.
La lumière surgit des ténèbres
Voyant que Pilate cherche à relâcher Jésus, les autorités juives vont chercher un autre grief d’accusation. Après l’argument religieux, ils utilisent l’argument politique: «Quiconque se fait roi, se déclare contre César!» Sur ce, Pilate leur présente à nouveau Jésus en le désignant cette fois de la manière suivante: «Voici votre roi!» Comme les Juifs crient «À mort», Pilate renchérit: «Me faut-il crucifier votre roi?» On est en pleine confusion. Les grands prêtres juifs, refusant cette royauté qui leur est imposée, déclarent finalement leur attachement inconditionnel à César lui-même: «Nous n’avons d’autre roi que César.» Pilate livre alors aux autorités juives celui-là même qu’elles lui avaient livré. On nage dans le mensonge! C’est bien là le comble, que le témoignage ultime de la vérité qui se dévoile soit donné sur arrière-fond de mensonge total: Pilate n’a aucun argument à faire valoir. Par ailleurs, il s’évertue à désigner Jésus comme roi des Juifs.
Finalement, Jésus sera montré au monde par Pilate comme roi des Juifs. Sur l’écriteau qu’il a fait rédiger, on peut en effet lire: «Jésus, le Nazaréen, le roi des Juifs». Les grands prêtres juifs protestent à nouveau: «C’est cet homme qui a prétendu être le roi des Juifs», mais rien n’y fait. Ils se trompent, car Jésus n’a rien prétendu du tout. C’est Pilate, un païen, qui a désigné Jésus comme Roi des Juifs. Jésus le lui a fait remarquer deux fois. Une première fois, Jésus l’interroge sur la portée de sa déclaration et sur la conviction qui y préside: «Dis-tu cela de toi-même ou bien d’autres te l’ont-ils dit à mon sujet?». Puis une seconde fois, alors que Jésus vient d’évoquer sa royauté, Pilate lui demande: «Tu es donc roi?» Finalement, Jésus répond: «Ma royauté n’est pas d’ici, elle n’est pas du monde». A travers toute cette mise en scène, celui qui intronise Jésus dans sa royauté, c’est Dieu lui-même. Et avec Jésus c’est le Royaume du Père qui nous arrive. La lumière advient, d’autant plus resplendissante que c’est en pleines ténèbres.
La venue du Fils de l’Homme
Le dimanche précédent, l’évangile qui a été lu propose la même thématique mais dans un registre tout différent puisqu’il tourne notre regard sur la fin de notre monde et la venue ultime du Fils de l’homme (Mc 13, 24-32). Jésus est arrivé à Jérusalem et il s’entretient avec ses disciples une dernière fois avant son entrée dans la Passion. Notre monde n’est pas éternel, tout comme notre vie, d’ailleurs. Jésus en prédit donc la fin, ce qui paraît assez normal, même si les événements annoncés sont plutôt terrifiants. Il suffit de réfléchir à notre monde, à notre univers, à son organisation, à son étendue, à tout ce qui relève de l’œuvre de l’homme… Tout cela disparaîtra. Est-ce pure perte? Toute cette énergie déployée à travers espace et temps, est-ce pour rien? Pourquoi cela doit-il disparaître? Gaspillage?
Mais, simultanément, Jésus parle de la venue du Fils de l’homme, comme d’un événement qui survient au moment de l’écroulement. A la fin du monde, il s’agira d’un grand rassemblement de tout ce qui était jusqu’alors dispersé. C’est vraiment une sorte de mouvement d’unification qui doit s’opérer et dont le centre est justement le Fils de l’homme en sa venue. Si bien que la parabole qui explicite cet enseignement est on ne peut plus optimiste. Elle décrit comment, au printemps, le figuier se met à bourgeonner: «ses branches deviennent tendres et les feuilles sortent». L’été est imminent, avec ses températures agréables et ses réjouissances. C’est une bonne nouvelle, l’annonce de quelque chose d’heureux.
Mais peut-on vraiment comparer des événements grandioses, impressionnants, à la mesure de l’univers avec cette image toute simple, toute banale, toute élémentaire: la vie qui surgit à travers les rameaux d’un arbre? Mais justement, ce qui est vrai pour la branche est vrai pour l’univers et réciproquement. C’est la même loi, et cette loi, c’est la Loi du Christ. Cette loi, il l’a inaugurée et promulguée une fois pour toutes dans sa mort et sa résurrection. C’est que de la mort surgit la vie. Telle est la volonté du Père, d’avoir inscrit dans notre réalité, dans notre monde, dans notre vie humaine, la victoire de son Christ. Signature divine qui donne sens à la réalité physique, matérielle, humaine, spirituelle. Car l’Amour est plus grand, il est le plus grand. Rien, absolument rien, n’est assez puissant pour s’y opposer. Et donc, tout relève de l’amour divin, comme de sa source, et tout y conduit.
Alors, quand est-ce que ce sera la fin? C’est Dieu, le Père qui conduit l’histoire et qui en est le maître. Il est Créateur, et le Fils lui est soumis dans une constante obéissance jusqu’à la fin. On dirait que la décision de la Fin, qui est du ressort du Père, doit tenir compte de l’histoire en son déroulement et en sa liberté. Finalement, c’est bien la venue du Fils de l’homme en sa gloire qui apporte la réjouissance et la consolation ultimes. En elle, tout sera rassemblé et tout trouvera sa plénitude. Tout, c’est-à-dire, tout ce qui aura cherché à construire cette communion, ce Royaume de l’amour et de la vérité.
Père Laurent Baudart, assomptionniste