Proba, veuve de Probus, demande à Saint Augustin (354 – 430) de lui écrire quelque chose sur la prière. Une lettre sur la Prière « Prier sans cesse » lui est envoyée. L’extrait ci-dessous de la « Lettre à Proba sur la Prière » (Lettre 130, écrite au début de 412), on trouve un commentaire de la prière du Notre Père, comme modèle de toute les prières. Pour saint Augustin, toutes les paroles de l’homme en prière ne peuvent que se rattacher à cette prière que Jésus a donné à ses disciples quand ils le suppliaient : « Apprends-nous à prier ! » (Luc 11, 1) Toute autre forme de prière serait « illicite » pour les hommes spirituels que nous sommes appelés à être.
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A ses paroles [du Christ annonçant que pour ceux qui demeurent en lui, ce qu’ils demandent se réalisera (Jn 15, 7)] appartient assurément la prière qu’il a enseignée et dans laquelle nous disons : Notre Père qui es aux cieux : ne nous écartons pas dans nos demandes des paroles et du sens de cette prière, et tout ce que nous demanderons se réalisera pour nous.
Les paroles nous sont nécessaires, à nous, afin de nous rappeler et de nous faire voir ce que nous devons demander. Ne croyons pas que ce soit afin de renseigner le Seigneur ou de le fléchir.
Aussi, lorsque nous disons : Que ton nom soit sanctifié, c’est nous-mêmes que nous exhortons à désirer que son nom, qui est toujours saint, soit tenu pour saint chez les hommes aussi, c’est-à-dire ne soit pas méprisé, ce qui profite aux hommes et non pas à Dieu.
Et lorsque nous disons : Que ton règne vienne, alors qu’il viendra certainement, que nous le voulions ou non, nous excitons notre désir de ce règne, afin qu’il vienne pour nous, et que nous obtenions d’y régner.
Quand nous disons : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, c’est pour nous que nous demandons une telle obéissance, afin que sa volonté soit faite en nous comme elle est faite au ciel par ses anges.
Quand nous disons : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, aujourd’hui signifie « dans le temps présent ». Ou bien nous demandons d’avoir ce qu’il nous faut en désignant le tout par la partie la meilleure, qui est le pain ; ou bien nous demandons le sacrement des croyants qui nous est nécessaire dans le temps présent pour obtenir non pas le bonheur dans ce temps, mais le bonheur éternel.
Quand nous disons : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, nous rappelons à nous-mêmes et ce que nous demandons et ce que nous devons faire pour être exaucés.
Quand nous disons : Ne nous soumets pas à la tentation, nous rappelons à nous-mêmes ce qu’il faut demander : que nous ne consentions pas à une tentation trompeuse, ou que nous ne fléchissions pas sous une tentation accablante, parce que nous serions privés du secours divin.
Lorsque nous disons : Délivre-nous du Mal, nous rappelons à nous-mêmes qu’il ne faut pas nous croire établis dans ce lieu où nous n’aurons plus à souffrir aucun mal. Et cette demande placée en dernier lieu dans la prière du Seigneur a une telle ampleur que le chrétien soumis à n’importe quelle épreuve exprime sa plainte par elle, verse des larmes par elle, commence par elle, s’y attarde, et termine par elle sa prière. Nous avions besoin de ces paroles pour confier les réalités elles-mêmes à notre mémoire.
Car lorsque nous disons n’importe quelles autres paroles, soit que le cœur de l’homme en prière les forme d’abord pour voir clair en lui, soit qu’il s’y attache en conclusion pour s’épancher, nous ne disons rien d’autre que ce qui se trouve déjà dans cette prière du Seigneur, du moins si nous prions de façon juste et appropriée. Si l’on dit quelque chose qui ne puisse pas se rattacher à cette prière évangélique, même si la prière n’est pas illicite, elle est charnelle. Et je ne sais pas comment on pourrait ne pas l’appeler illicite, puisque la prière spirituelle est la seule qui convienne à des hommes qui ont reçu du Saint-Esprit la nouvelle naissance. »